L’histoire du Komagata Maru

Par Matthew McRae
Publié : le 28 avril 2017

Une jeune femme est assise sur un rebord dans une grande salle circulaire. Elle sourit au photographe et porte un jeans, une chemise foncée et un manteau rouge. Visibilité masquée.

Photo: Gracieuseté de Nimrat Randhawa

Détails de l'histoire

Lorsque Nimrat Randhawa et sa famille ont immigré au Canada à l’été 2003, c’est littéralement dans la noirceur totale qu’ils sont arrivés au pays. 

À leur atterrissage à l’Aéroport international Lester B. Pearson, la panne d’électricité du Nord‑Est de 2003 [en anglais seulement] frappait, laissant dans l’obscurité près de 10 millions de personnes en Ontario et 45 autres millions dans huit états des États‑Unis. Même si Nimrat n’avait alors que cinq ans, elle se souvient bien de cette nuit‑là.

« En fait, notre avion était le dernier à atterrir à cet aéroport – tous ceux qui suivaient ont été redirigés ailleurs, explique‑t‑elle. Je me rappelle seulement qu’à notre sortie de l’avion, toutes les lumières étaient éteintes, et je trouvais ça vraiment bizarre, car c’était l’une des choses que nos parents nous avaient dit : que s’il y avait très souvent des pannes de courant en Inde, en tous les cas, cela n’arriverait pas au Canada. Alors, pour une première expérience, c’était vraiment surprenant. »

Malgré cette première impression étrange, elle s’est vite adaptée à son nouveau pays, et sa famille a su y prospérer. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle a appris l’histoire d’un de ses ancêtres qui, lui, a reçu un accueil beaucoup plus sombre à son arrivée au Canada.

Cet ancêtre est Gurdit Singh, l’arrière‑arrière‑grand‑père de Nimrat Randhawa, et son histoire est celle du Komagata Maru. Originaire du Pendjab, en Inde, Gurdit Singh travaillait en 1913 comme entrepreneur à Singapour. Chaque fois qu’il retournait dans son village, il y voyait la pauvreté et des gens qui luttaient pour s’en sortir et il avait l’impression qu’il devait faire quelque chose pour les aider.

Approché par des sikhs qui cherchaient à immigrer au Canada, il a bien voulu leur venir en aide. Pour faire traverser le Pacifique à ces immigrants éventuels, il a affrété le navire japonais Komagata Maru. Le navire a quitté Hong Kong le 4 avril 1914 avec à son bord 376 passagers de nationalité indienne, soit 340 sikhs, 24 musulmans et 12 hindous. Après plus d’un mois de navigation, le 22 mai, le Komagata Maru s’approchait de la côte de la Colombie‑Britannique. Mais ni le navire ni ses passagers n’ont reçu un accueil chaleureux.

Une image en noir et blanc d’un grand groupe d’hommes sikh et d’un garçon debout sur le pont d’un navire. Ils font tous face au photographe et ne sourient pas.

Des passagers sikhs à bord du Komagata Maru, 1914.

Photo: Gracieuseté de Vancouver Public Library, 6231

En 1914, de nombreux Canadiens blancs étaient très hostiles à l’immigration de gens de couleur. En 1907, à Vancouver, 10 000 personnes ont protesté contre l’immigration indienne pour ensuite aller se livrer à une émeute dans le quartier chinois de Vancouver, effrayant les résidents et résidentes et détruisant leurs biens. En 1908, le gouvernement fédéral adoptait deux dispositions visant à prévenir l’immigration indienne. La première exigeait que tous les immigrants arrivent au Canada au terme d’un voyage sans escale depuis leur pays d’origine. Comme aucun navire ne voyageait sans escale entre l’Inde et le Canada, une telle restriction bloquait en effet l’immigration indienne. La seconde disposition exigeait des immigrants indiens d’avoir sur eux 200 $ à leur arrivée au Canada – montant huit fois supérieur à celui exigé des immigrants blancs. En 1913, un avocat de la Colombie‑Britannique avait plaidé avec succès devant les tribunaux contre ces dispositions. Par conséquent, les passagers du Komagata Maru avaient espoir de pouvoir immigrer au Canada.

Mais le gouvernement canadien l’entendait autrement. À l’arrivée du navire, les agents d’immigration locaux ont eu pour stratégie de refuser à Gurdit Singh la permission de débarquer, lui interdisant ainsi l’accès aux banques et à son argent. Ils espéraient ainsi le priver de fonds jusqu’à ce qu’il soit obligé de repartir. Toutefois, les passagers, eux, ont décidé de faire valoir leur situation devant les tribunaux, et avec l’aide financière de la communauté sikhe de Vancouver, ils ont embauché les services de J. Edward Bird, ce même avocat qui avait plaidé avec succès contre les dispositions du gouvernement.

Les agents d’immigration canadiens ont fait tout ce qu’ils ont pu pour s’opposer à l’avocat des passagers. Ils l’ont empêché de rencontrer en privé les passagers du navire et l’ont aussi obligé à défendre sa position devant un jury composé de cinq juges plutôt que d’un seul. Parallèlement à cela, ces mêmes agents rendaient très difficile la vie des passagers, rationnant leurs provisions à un point tel qu’ils devaient parfois passer 48 heures sans eau ni nourriture. Le 6 juillet, les juges se sont prononcés contre J. Edward Bird, ce qui signifiait que les passagers du Komagata Maru ne seraient pas admis au Canada. Le 23 juillet, deux mois après son arrivée, le navire était escorté hors des eaux canadiennes par le NCSM Rainbow .

Le Komagata Maru est revenu en Inde le 26 septembre 1914. Les autorités britanniques y soupçonnaient les passagers d’être des révolutionnaires qui venaient semer le trouble. Une altercation entre les autorités et les passagers a été suivie de coups de feu. À la fin, 22 personnes ont été tuées, dont 16 passagers. Plus de 200 des autres passagers ont été emprisonnés. Blâmé pour le massacre, Gurdit Singh a dû se cacher, puis a finalement décidé de se rendre. À sa sortie de prison, il a commencé à œuvrer paisiblement en vue de l’indépendance de l’Inde aux côtés de Mohandas Gandhi.

L’arrière‑arrière‑petite‑fille de Gurdit Singh ignorait tout de cette histoire jusqu’à ce qu’elle et sa famille se rendent ensemble à Vancouver, à l’époque où elle fréquentait l’école intermédiaire. « Avant cela, je ne savais pas vraiment que de tels actes avaient eu lieu dans le passé au Canada … Puis j’ai compris qu’il y a en fait beaucoup de choses qui se sont produites ici et qu’elles sont peu connues. Je crois qu’il est toujours important d’examiner son propre passé et ses propres erreurs pour éviter de les répéter. »

Le premier ministre Justin Trudeau, à gauche, et Nimrat Randhawa, à droite, p posent pour une photo devant le drapeau canadien. Ils sourient tous deux au photographe.
Photo: Gracieuseté de Nimrat Randhawa

Nimrat Randhawa en compagnie du premier ministre Justin Trudeau à l’occasion des excuses officielles pour l’incident du Komagata Maru le 18 mai 2016. 

Photo: Gracieuseté de Nimrat Randhawa

Le Canada ne fait que commencer à se racheter pour ce sombre épisode de son histoire. En mai 2008, l’Assemblée législative de la Colombie‑Britannique a adopté une motion dans laquelle elle présente ses excuses aux passagers du Komagata Maru. Deux mois plus tard, le premier ministre de l’époque Stephen Harper présentait ses excuses devant un rassemblement sikh [en anglais seulement] à Surrey, en Colombie‑Britannique. Comme de nombreux sikhs présents pour l’occasion souhaitaient obtenir des excuses plus officielles à la Chambre des communes, le 18 mai 2016, le premier ministre Justin Trudeau a présenté des excuses officielles devant le Parlement pour l’incident du Komagata Maru.

Le directeur général du Sikh Heritage Museum of Canada, Pardeep Singh Nagra, dit qu’il est important pour les Canadiens et les Canadiennes de savoir ce qui s’est passé en 1914 – mais aussi de comprendre à quel point la société canadienne a évolué :

Image en buste de Pardeep Singh Nagra parlant au microphone. Il regarde vers sa droite, bras droit tendu, paume vers le haut.

Pardeep Singh Nagra, lors d’une allocution au Musée canadien pour les droits de la personne, le 24 mai 2015.

Photo : MCDP, Doug Little

« Qui aurait cru qu’il y aurait en 2014, à l’occasion du 100e anniversaire de l’incident du Komagata Maru, un jeune homme sikh… qui serait alors ministre canadien du Multiculturalisme? Et qui aurait cru que 102 ans plus tard, au moment où le Parlement se décidait finalement à formuler des excuses, le Canada compterait quatre ministres sikhs, dont le ministre de la Défense, qui a été à une certaine époque le premier sikh à commander un régiment canadien? Et qu’il s’agirait de ce même régiment [en anglais seulement] qui avait repoussé les passagers du Komagata Maru. Tout cela illustre ce qu’est le Canada et ce qu’est le legs du Komagata Maru, et c’est le message que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes doivent comprendre et retenir. »

L’histoire du Komagata Maru est racontée dans la galerie Les parcours canadiens du Musée. La rédaction de cet article de blogue s’inspire en partie des recherches réalisées par Mallory Richard, qui a travaillé au Musée comme chercheure et coordonnatrice de projet.

Citation suggérée

Citation suggérée : Matthew McRae. « L’histoire du Komagata Maru ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 28 avril 2017. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/lhistoire-du-komagata-maru