La grève générale de Winnipeg

On réclame des droits pour la classe ouvrière

Par Travis Tomchuk
Publié : le 13 mai 2019

Une grande foule rassemblée dans une rue. Visibilité masquée.

Photo : Archives du Manitoba, Winnipeg Strike 25 (N12313)

Détails de l'histoire

Trente‐cinq mille travailleurs et travailleuses en arrêt de travail. Des manifestations massives dans les rues et les parcs. Une force policière renvoyée et remplacée par des justiciers armés de matraques. Un tramway presque renversé puis mis en flammes. Des policiers à cheval ouvrant le feu sur des foules d’hommes, de femmes et d’enfants sans armes.

Et tout ceci s’est passé à Winnipeg, au Manitoba, il y a 100 ans, à l’occasion de l’une des grèves les plus connues et les plus influentes de l’histoire du Canada : la grève générale de Winnipeg.

Un document intitulé « PROCLAMATION » et interdisant les défilés et les rassemblements publics. Au bas, il est écrit « CHARLES F. GRAY, Mayor » et « GOD SAVE THE KING ».

La proclamation du maire de Winnipeg, Charles Gray, interdisant les défilés et les rassemblements publics, le 5 juin 1919. Malgré cet avertissement, les défilés silencieux et les rassemblements continuent.

Photo : Archives du Manitoba, Winnipeg Strike 66 (N12340)

L’arrivée du chemin de fer du Canadien Pacifique à Winnipeg en 1881 est suivie de nombreuses années de croissance et de prospérité. La ville étant un centre névralgique en Amérique du Nord, les gens affluent vers Winnipeg pour travailler en agriculture et dans diverses industries en plein essor. Beaucoup de ces nouveaux résidents et nouvelles résidentes viennent de pays ou d’empires d’Europe centrale et orientale et s’installent dans le nord de la ville, près d’où se trouvent de nombreuses usines. L’élite des gens d’affaires de Winnipeg voit sa fortune s’accroître à mesure que ses entreprises réalisent des profits substantiels et que la valeur des propriétés s’élève en flèche. Les propriétaires utilisent leur vaste richesse pour construire des maisons palatiales dans le quartier Crescentwood de Winnipeg, loin du bruit et de la pollution de leurs usines.

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Un groupe d’hommes et de femmes bien habillés assis à une table de pique-nique avec des arbres en arrière-plan.

Des Winnipegois et Winnipegoises pique‐niquant au bord d’un lac, vers 1914. L’élite des gens d’affaires de Winnipeg a accru sa richesse en période de croissance économique et de prospérité.

Photo : Archives du Manitoba, Foote 1273 (N15808)
Vue de la rue d’une grande demeure avec une pelouse soignée.

Manoir de Winnipeg, 1924. Les riches Winnipegois et Winnipegoises ont construit de somptueuses maisons au sud du centre‐ville.

Photo : Archives du Manitoba, Winnipeg – Homes – Nanton, Augustus M. 18 (N15399)

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Winnipeg entre dans le 20e siècle

En 1912, l’économie de la ville est en récession. La Première Guerre mondiale exacerbe les problèmes, les salaires n’arrivant pas à suivre le rythme d’une inflation élevée, ce qui entraîne une hausse du chômage. En 1918, l’épidémie mondiale de grippe, connue sous le nom de grippe espagnole, éclate à Winnipeg, et ce sont ceux qui vivent dans le secteur nord qui sont le plus durement touchés. Les mauvaises conditions sanitaires, le surpeuplement et le manque de revenus pour l’alimentation et les soins médicaux entraînent de nombreuses souffrances.

Une grande famille assise dans un espace exigu.

Une famille chez elle à Winnipeg, vers 1915. Contrairement aux manoirs des gens d’affaires de l’élite de Winnipeg, les gens de la classe ouvrière vivaient souvent dans des logements surpeuplés.

Photo : Archives du Manitoba, Foote 1491 (N2438)

Les anciens combattants revenant de la Première Guerre mondiale rentrent chez eux et constatent que la situation économique et sociale de leurs familles est pire qu’avant leur enrôlement.

Les travailleurs qualifiés du bâtiment et de la métallurgie, qui œuvrent depuis de nombreuses années dans leurs métiers respectifs, sont en train de négocier de nouvelles conventions collectives pour les salaires et les conditions de travail avec leurs employeurs. Ils veulent que leurs employeurs négocient avec un congrès de métiers représentant les travailleurs et travailleuses de toute leur industrie. Mais les employeurs estiment qu’il est avantageux de continuer à négocier séparément avec les syndicats pour les petites sous‐sections au sein de chaque industrie. Lorsque les employeurs refusent de négocier collectivement avec les congrès de métiers, la grève générale de Winnipeg commence.

Diapositives

Un groupe d’hommes en vêtements de travail assis et debout dans une usine.

Membres de la confrérie des agents de train de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada aux ateliers de Transcona, vers 1915. Des travailleurs qualifiés comme ceux‐ci se sont organisés en syndicats pour mieux négocier avec leurs employeurs dans le but d’améliorer les conditions de travail.

Photo : Archives du Manitoba, Foote 992 (N2592)
Un grand groupe de femmes assises en train de coudre. D’autres sont debout derrière elles dans une salle remplie de tissus.

Ouvrières d’usine, Winnipeg, vers 1920. Contrairement aux travailleurs qualifiés, les femmes employées dans des usines comme cette installation de production de vêtements travaillaient dans de mauvaises conditions de travail (longues heures, salaires faibles, éclairage médiocre et ventilation inadéquate).

Photo : Archives du Manitoba, Jewish Historical Society 3281
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En grève!

Le 15 mai 1919, à 11 h, les travailleurs des métiers de la construction et de la métallurgie de Winnipeg déposent leurs outils et quittent leur lieu de travail. Des ouvrières et ouvriers syndiqués d’autres professions se joignent à eux. Mais, chose incroyable, des milliers de travailleuses et travailleurs non syndiqués abandonnent aussi leur poste pour se joindre à la grève générale. Environ 35 000 grévistes protestent contre les bas salaires et les mauvaises conditions de travail, ainsi que contre le refus de leurs employeurs de négocier l’une ou l’autre de ces questions. Ils ont l’appui de milliers d’anciens combattants pro‐grève. Un groupe de grévistes forme le Comité de grève pour superviser la grève et s’assurer que les besoins fondamentaux des citoyens, des citoyennes et de la ville sont satisfaits. Winnipeg est maintenant sous le contrôle des travailleurs et des travailleuses.

Toute la classe ouvrière a le sentiment d’avoir souffert dans le passé et que les conditions ont été contre elle.

Fred Dixon, député du Parti travailliste, le 23 mai 1919

Un homme sur une plateforme surélevée s’adresse à une foule nombreuse.

L’ancien combattant Roger E. Bray s’adressant à une foule de grévistes au parc Victoria, le 13 juin 1919. Les réunions de masse étaient un moyen important de tenir les grévistes informés et de maintenir le moral.

Photo : Archives du Manitoba, Foote 1677 (N2743)

L’élite des gens d’affaires de Winnipeg est mécontente de cette tournure dramatique des événements. Ils forment rapidement le Comité des mille citoyens (Citizens’ Committee of One Thousand) pour combattre la grève. Pour ce faire, ils exercent des pressions auprès des trois ordres de gouvernement – municipal, provincial et fédéral – pour que la grève soit écrasée par tous les moyens nécessaires. Ils publient également leur propre journal qui présente la grève générale comme une révolution bolchévique1 menée par des agitateurs étrangers qui doivent être déportés. Leur message est entendu partout, et le New York Times proclame même « BOLSHEVISM IN WINNIPEG ». Bien que la grève ait été présentée comme un complot visant à renverser le gouvernement, ce n’est pas le cas.

Alors que le Comité des mille citoyens tente de présenter les grévistes comme des radicaux dangereux désireux de prendre le pouvoir, les travailleurs et travailleuses d’autres villes du Canada manifestent leur solidarité aux grévistes de Winnipeg en faisant des grèves de sympathie.

Bon nombre de travailleurs et travailleuses en grève reçoivent des ultimatums de leurs employeurs : renoncez à la grève et retournez au travail ou perdez votre emploi. Pourtant, lors d’un rassemblement de masse à Victoria Park, les grévistes rejettent ces menaces. La police de la Ville veut aussi se joindre à la grève, mais elle reste en service à la demande du Comité de grève. Quelques semaines après le début de la grève, cependant, le maire Charles Gray congédie les policiers parce qu’ils ont de la sympathie pour les grévistes. Le Comité des mille citoyens commence à recruter la « police spéciale » pour remplacer les policiers licenciés. La police spéciale est composée en général d’anciens combattants revenus au pays qui sont contre la grève. Ils portent des brassards et des insignes d’identification et sont armés de matraques. Leur apparition dans les rues de Winnipeg crée une nouvelle tension.

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Un grand groupe d’hommes en costumes et chapeaux brandissant des matraques et marchant dans la rue.

La « police spéciale » qui marche dans le centre‐ville de Winnipeg, le 10 juin 1919. L’apparition des membres de la police spéciale rend inévitable la violence entre eux et les grévistes.

Photo : Archives du Manitoba, Winnipeg Strike 61 (N12335)
Un groupe d’hommes à cheval dans une rue de la ville; une foule sur le trottoir les regarde.

La « police spéciale » à cheval fonçant dans une foule, le 10 juin 1919. La police spéciale frappe les gens à coups de matraque les chasser de la rue. Les grévistes se défendent et une émeute s’ensuit.

Photo : Archives du Manitoba, Winnipeg Strike 20 (N12310)
Un groupe d’hommes se pressent autour d’un homme assis à un bureau.

Des agents de la « police spéciale » prêtant serment, le 5 juin 1919. Le Comité des mille citoyens recrute un corps de justiciers après que le maire de Winnipeg, Charles Gray, avait congédié les policiers de la Ville pour avoir appuyé les grévistes.

Photo : Archives du Manitoba, Winnipeg Strike 16 (N12307)
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Le premier affrontement entre les grévistes et la police spéciale a lieu le 10 juin à l’angle de la rue Main et de l’avenue Portage. Les grévistes bombardent la police spéciale de pierres tandis que la police spéciale assène des coups de matraque sans discernement. Beaucoup sont blessés des deux côtés, mais le calme revient dans la région après que le maire Charles Gray démobilise la police spéciale.

Je souhaite éviter d’utiliser des méthodes plus rigoureuses si possible, mais j’utiliserai toutes les méthodes nécessaires pour faire respecter la loi et l’ordre public.

Le maire Charles Gray, le 11 juin 1919

Une semaine plus tard, des membres de la Royale gendarmerie à cheval du Nord‐Ouest (RGCN‑O) perquisitionnent les maisons des chefs du Comité de grève et les mettent en état d’arrestation. Des modifications récentes apportées à la Loi sur l’immigration fédérale signifient que ces hommes sont menacés d’expulsion pour trahison s’ils sont reconnus coupables.

Un groupe d’hommes debout et assis.

Chefs de grève appréhendés à la prison de la rue Vaughan à Winnipeg, en 1920. Rangée arrière, de gauche à droite : Roger E. Bray, George Armstrong, le conseiller municipal John Queen, R.B. Russell, R.J. Johns et Bill Pritchard. Rangée avant, de gauche à droite : Révérend William Ivens et le conseiller municipal A.A. Heaps.

Photo : Archives du Manitoba, Winnipeg Strike 35 (N12322)

« Samedi sanglant »

La situation atteint son paroxysme lorsque des anciens combattants pro‐grève organisent une marche silencieuse, le samedi 21 juin, pour protester contre l’arrestation des chefs de grève. Des manifestations de ce genre sont interdites par le maire Charles Gray depuis le début du mois, mais les anciens combattants ne se laissent pas décourager.

Lorsqu’un tramway conduit par un membre du Comité des mille citoyens se dirige vers le sud sur la rue Main en direction de l’Hôtel de ville, les grévistes considèrent cet acte comme une provocation directe. Ils entourent le tramway et tentent en vain de le renverser. Ils finissent par l’incendier.

Une grande foule de gens essayant de renverser un tramway.

Une foule qui tente de renverser un tramway pendant le « samedi sanglant », le 21 juin 1919. Ce jour‐là, les grévistes apprennent jusqu’où l’élite économique de la ville et le gouvernement sont prêts à aller pour mettre un terme à cette grève.

Photo : Archives du Manitoba, Foote 1696 (N2762)

La RGCN‑O arrive sur les lieux pour rétablir l’ordre. Lorsqu’ils passent devant l’hôtel de ville, les grévistes leur lancent des pierres et des bouteilles. Le maire Gray lit la loi anti‐émeute (Riot Act2) à la foule et dit aux gens de quitter la zone dans les 30 minutes. C’est alors que la RGCN‑O revient avec des matraques et des revolvers et commence à chasser de la rue les grévistes, les passants et les passantes. Des coups de feu résonnent dans la foule et un homme est tué. Les gens commencent à s’enfuir par les rues secondaires et les ruelles où ils se heurtent à la police spéciale qui les attend, matraques à la main. La milice locale est appelée et patrouille le centre‐ville de Winnipeg aux côtés de la RGCN‑O et de la police spéciale. Ce jour devient connu sous le nom de « samedi sanglant ».

Dans l’espoir d’éviter plus de violence, le Comité de grève rencontre le premier ministre du Manitoba, T.C. Norris. Le Comité déclare qu’il mettra fin à la grève si le premier ministre accepte qu’une commission royale examine les causes profondes de la grève. Les deux parties ayant réussi à négocier une entente, la grève est officiellement annulée le 26 juin 1919.

L’héritage de la grève

Les travailleurs et travailleuses de Winnipeg ont quitté leur emploi pour protester contre les bas salaires, les longues heures de travail et d’autres mauvaises conditions de travail, ainsi que contre la réticence de leurs employeurs à négocier. En réponse, ils ont fait face à des matraques et à des balles, à une police de justiciers, à la RGCN‑O et à la milice. Un grand nombre de grévistes ont perdu leur emploi. Mais même si les revendications qui ont mené à la grève générale de Winnipeg ne se sont pas concrétisées pour les personnes en grève, elles n’ont pas considéré la grève comme un échec complet. Elles ont plutôt cherché d’autres moyens d’améliorer les conditions de travail et sociales de la classe ouvrière de Winnipeg.

Un homme assis dans un fauteuil.
Le maire John Queen, 1935. John Queen a été élu à l’Assemblée législative du Manitoba en 1920 alors qu’il purgeait une peine d’emprisonnement pour son rôle dans la grève. Plus tard, il a été maire de Winnipeg dans les années 1930 et 1940. Photo : Archives du Manitoba, 20731

La création de nouveaux partis politiques était un moyen de promouvoir les droits dans ce domaine. Le Parti travailliste indépendant et, plus tard, la Fédération du Commonwealth coopératif – un précurseur du Nouveau Parti démocratique – ont fait élire d’anciens grévistes et chefs de grève à l’hôtel de ville, à l’Assemblée législative du Manitoba et même à la Chambre des communes.

La formation de nouveaux syndicats et la négociation collective sont un autre résultat de la grève. Les politiciens et les militants et militantes des syndicats ont continué de plaider en faveur de protections et de meilleurs salaires pour les travailleurs et travailleuses et ont fait entendre leur voix. Depuis la grève générale, les gens ont lutté avec succès pour de nombreuses initiatives importantes en matière de droits de la personne, y compris les soins de santé universels, la législation sur le salaire minimum, l’assurance-emploi et la lutte contre la discrimination sur le lieu de travail. Et des progrès continuent d’être réalisés, car de plus en plus de Canadiens et de Canadiennes élargissent la discussion sur les droits du travail pour inclure des groupes et des sujets qui étaient autrefois négligés, comme les droits des personnes handicapées ou les droits environnementaux. Les gains durement acquis par les travailleurs et travailleuses au cours des 100 dernières années doivent encore être protégés. Aujourd’hui, l’un des principaux objectifs des activités de défense des droits du travail est de mettre l’accent sur la nécessité de valoriser les gens et d’assurer des salaires équitables et des milieux de travail sûrs pour tous et toutes. Les garanties dont jouissent les travailleurs et les travailleuses aujourd’hui ne subsisteront que si les gens continuent de s’élever contre l’injustice. Et ainsi, la lutte continue.

Lectures suggérées

    • Bercuson, David J. Confrontation at Winnipeg : Labour, Industrial Relations, and the General Strike, Montreal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1990.
    • Epp‐Koop, Stefan. We’re Going to Run this City : Winnipeg’s Political Left after the General Strike, Winnipeg, University of Manitoba Press, 2015.
    • Dupuis, Michael. Winnipeg’s General Strike : Reports from the Front Line, Charleston, The History Press, 2014.
    • Kramer, Reinhold, et Tom Mitchell. When the State Trembled : How A.J. Andrews and the Citizens’ Committee Broke the Winnipeg General Strike, Toronto, University of Toronto Press, 2010.


Références

  • 1Le Parti bolchévique dirigé par Vladimir Lénine a renversé le gouvernement provisoire de la Russie en octobre 1917. Les bolchéviks étaient un groupe révolutionnaire de gauche qui est devenu plus tard le Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS). Le PCUS a dirigé la Russie jusqu'en 1991.
  • 2La Riot Act donne au maire Gray, en tant qu'élu, le pouvoir d'ordonner à la foule des grévistes de se disperser ou de faire face aux conséquences juridiques de leurs actes.

Citation suggérée

Citation suggérée : Travis Tomchuk. « La grève générale de Winnipeg ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 13 mai 2019. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/la-greve-generale-de-winnipeg

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