Grace Acan et Evelyn Amony n'étaient que des filles quand elles ont été enlevées par l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) en Ouganda. Elles ont été réduites en esclavage et ont passé des années en captivité, loin de leur famille. Elles ont réussi à retrouver le chemin de la liberté, mais elles ont dû faire face à de nombreux autres combats depuis leur retour au bercail.
Voix de femmes et de filles en temps de guerre
Des survivantes de la LRA en Ouganda s’expriment sur la violence, la captivité et la guérison
Par Isabelle Masson
Publié : le 12 juin 2019
Mots-clés :
Détails de l'histoire
Notre exposition intitulée Ododo Wa : Filles en temps de guerre présente les histoires de Grace et d'Evelyn, racontées de leur point de vue et dans leur propre voix. Leur courage, leur résilience et leur détermination face à l'adversité sont mis en valeur par des images, des textes, des artéfacts, des films d'animation et des entrevues. « Ododo Wa » signifie « nos histoires » dans leur langue, l'acholi, un dialecte des peuples parlant le luo en Afrique de l'Est.
Les histoires des femmes et des filles sont cruciales pour comprendre de quoi sont faites les guerres et ce qui les soutient. Leurs expériences révèlent des dimensions importantes de conflits qui sont trop souvent ignorées. Alors que la violence sexuelle est généralement considérée comme une conséquence malheureuse des conflits, elle est en fait souvent une stratégie centrale de la guerre. En Ouganda, la LRA a mené une guerre contre le gouvernement pendant plus de 20 ans, à partir du milieu des années 1980. Des dizaines de milliers d'enfants ont été enlevés et enrôlés de force dans les rangs de l'armée rebelle dirigée par le chef militaire et spirituel Joseph Kony. Ces enfants ont reçu une formation militaire et ont été forcés de transporter de lourdes charges de munitions et d'autres matériels à travers la brousse et les montagnes, marchant pendant des jours entiers avec peu de nourriture et d'eau. En captivité, ils ont constamment été confrontés à la violence des rebelles et de l'armée ougandaise qui chassaient la LRA dans le nord de l'Ouganda et le sud du Soudan. Des adolescentes, comme Grace et Evelyn, ont servi comme soldats et ont été réduites en esclavage conjugal. Cela signifiait qu'elles devaient servir d'épouses aux commandants et combattants de la LRA et qu'elles étaient forcées d'avoir des enfants avec ces « maris de brousse » pour construire ce que Kony considérait comme une nouvelle et pure nation acholi.
L'histoire de Grace
Grace Acan a été enlevée à l'âge de 16 ans du St. Mary's College, un pensionnat catholique pour filles à Aboke, dans le nord de l'Ouganda. Elle faisait partie des 139 filles âgées de 13 à 16 ans enlevées dans l'un des dortoirs de l'école par des soldats rebelles en octobre 1996. Grace était une élève déterminée, qui excellait en sciences et en anglais. Elle rêvait d'indépendance et prévoyait devenir infirmière. En captivité dans la LRA, elle a été réduite en esclavage et on lui a dit d'oublier ses études et sa famille.
Grace était traitée avec méfiance en raison de son niveau d'éducation et de sa capacité à parler anglais. Non seulement on lui a enlevé sa liberté, mais Grace a été forcée d'épouser un commandant assez âgé pour être son père et a eu deux de ses enfants – dont l'un a été tué plus tard dans une embuscade militaire.
Grace a passé huit longues années en captivité avant de pouvoir enfin s'échapper. Sa famille l'a accueillie, ainsi que sa fille de 14 mois. Grace est vite retournée à l'école, mais elle a eu du mal à se réinsérer dans sa communauté.
L’histoire d’Evelyn
En 1994, Evelyn Amony, 11 ans, se rendait à pied chez sa grand‐mère après l'école quand elle a été enlevée par un groupe de soldats de la LRA. La grand‐mère d'Evelyn a essayé de la protéger, suppliant les rebelles et défiant leurs ordres de ne pas franchir une ligne qu'ils avaient tracée dans le sable. Les soldats ont refusé de céder et lui ont enlevé sa petite‐fille.
La vie dans la LRA était organisée en unités « familiales » dirigées par un commandant et une première épouse. Evelyn a été réduite en esclavage et affectée à la famille du chef de la LRA, pour s'occuper de deux de ses enfants. Kony appelait Evelyn sa « première née », agissant comme une figure paternelle pour elle au début de sa captivité. Mais peu de temps après, il l'a forcée à devenir sa femme. En 2005, après 11 ans de captivité, Evelyn a été capturée par des soldats du gouvernement dans une embuscade militaire. Elle et son bébé de 10 jours ont failli être tués. Evelyn a été emmenée dans un centre de réadaptation à Gulu avec ses deux enfants survivants – une de ses filles a disparu dans le chaos d'une autre embuscade militaire. Peu après son retour au pays, on lui a demandé de prendre part aux négociations de paix entre le gouvernement ougandais et la LRA.
Rentrer chez soi après la captivité
Les filles enlevées par la LRA sont devenues des femmes pendant leur captivité. À leur retour à la maison, beaucoup les considéraient comme des rebelles, même si elles avaient été prises et détenues par la force. Après tout ce qu'elles avaient vécu aux mains de la LRA, les jeunes mères et leurs enfants étaient maintenant victimes de discrimination et de mauvais traitements dans leur propre communauté. Avec une éducation et un soutien limités, elles ont lutté pour reconstruire leur vie.
Trouver leur voix
Par différents moyens, comme par exemple en dessinant les lieux où elles avaient vécu en captivité, les survivantes ont commencé à s'ouvrir sur leurs expériences traumatisantes. Au fur et à mesure que les femmes se racontaient leurs histoires, elles ont trouvé la guérison et le besoin de parler de ce qui s'était passé et de la façon dont elles, et leurs enfants, continuaient à faire face à l'adversité.
En 2008, Evelyn et Grace ont fondé avec d'autres survivantes le Ugandan Women's Advocacy Network. Aujourd'hui, l'organisation représente 900 femmes. De leur point de vue, la justice comprend des réparations indispensables pour les survivantes, telles que l'accès aux soins de santé, l'indemnisation financière, l'accès à la propriété foncière, l'éducation, la formation professionnelle et la reconnaissance des droits successoraux des enfants nés en captivité.
En 2015, Evelyn a publié son autobiographie I am Evelyn Amony : Reclaiming My Life from the Lord’s Resistance Army (Je suis Evelyn Amony : redonner sens à ma vie après l'Armée de résistance du Seigneur). Grace a emboîté le pas en 2017 avec sa propre autobiographie, Not Yet Sunset : A Story of Survival and Perseverance in LRA Captivity (Le soleil n’est pas encore couché : Une histoire de survie et de persévérance en captivité aux mains de la LRA).
Une exposition pour amplifier leurs voix
Le Musée présente actuellement une exposition au sujet de ces histoires et expériences, qui est intitulée Ododo Wa : Filles en temps de guerre. « Ododo Wa » était le titre de l'initiative visant à aider les survivantes à raconter leur histoire du Ugandan Justice and Reconciliation Project, qui a réuni Grace, Evelyn et d'autres femmes. « Ododo wa » se traduit par « nos histoires », mais l’expression peut aussi faire référence à des histoires ou des contes racontés aux enfants.
Ododo Wa : Filles en temps de guerre amplifie les voix uniques de Grace et d'Evelyn. Notre but en sélectionnant les images et les objets, en écrivant les textes d'exposition et en créant les films est de laisser transparaître leurs espoirs et leurs rêves, leur courage, leur force, leur voix et leur pouvoir d’action. Les couleurs vives et les dessins faits à la main aident à évoquer ces significations et à façonner une histoire qui, en fin de compte, porte sur la guérison et la défense de la justice.
On utilise des films d'animation pour raconter les histoires de façon créative et pour offrir un contenu accessible à un large public, y compris aux plus jeunes. Nous sommes heureux de présenter les premières secondes d’un film faisant partie de l'exposition. Au début du film de Grace, on voit un fil bleu qui prend la forme d’un chandail d’uniforme. Le fil est renforcé par d'autres fils, représentant les survivantes qui se sont rassemblées pour former un organisme de défense.
Video : Film de Grace (extrait)
L’exposition Ododo Wa : Filles en temps de guerre a été réalisée en étroite collaboration avec Grace et Evelyn, ainsi qu'avec le projet Esclavage conjugal en temps de guerre (ECTG), qui réunit des chercheurs, des chercheuses et des organismes communautaires de défense des droits du Canada, de la République démocratique du Congo, de l'Angleterre, du Liberia, du Nigeria, du Rwanda, du Sierra Leone, de l'Afrique du Sud et de l'Ouganda. Le projet ECTG met en lumière une partie de l'histoire qui est trop souvent négligée en documentant les cas de mariage forcé et d'esclavage conjugal dans les situations de conflit. En partenariat avec le projet ECTG, nous espérons que l'exposition sera présentée en Ouganda et dans d'autres pays afin qu'elle serve de catalyseur pour le dialogue communautaire sur les questions de violence sexuelle dans les conflits, de justice et de réparation pour les femmes touchées par la guerre et leurs enfants.
On peut voir l’exposition Ododo Wa : Filles en temps de guerre dans la galerie Les droits aujourd’hui, au niveau 5, jusqu’en novembre 2023.
Questions de réflexion
Comment puis‐je intervenir sur la question de la violence sexuelle dans les conflits?
Que puis‐je apprendre en écoutant les histoires de guerre des femmes et des filles?
Que signifie la justice pour les filles et les femmes touchées par la guerre?
Citation suggérée
Citation suggérée : Isabelle Masson. « Voix de femmes et de filles en temps de guerre ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 12 juin 2019. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/voix-de-femmes-et-de-filles-en-temps-de-guerre
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