Au cours de l’été 2020, des personnes de partout au Canada et dans le monde sont descendues dans la rue sous le cri de ralliement et le leadership de Black Lives Matter (BLM) pour protester contre le meurtre de George Floyd par quatre policiers de Minneapolis. Ces manifestations ont constitué l’une des mobilisations les plus vastes, les plus durables, les plus répandues et les plus diversifiées de gens ordinaires jamais vues au Canada. Elles ont fondamentalement changé le débat sur le racisme antinoir au pays.
Black Lives Matter et la lutte pour la justice raciale au Canada
L’histoire de la communauté noire canadienne et la poursuite d’un avenir plus juste sur le plan racial.
Par Debra Thompson
Publié : le 26 septembre 2023
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Détails de l'histoire
Les manifestations dans les villes canadiennes ont insisté sur le fait que les vies des personnes noires comptent au Canada. Cela était d’autant plus important que beaucoup de gens pensent qu’il n’y a que peu ou pas de racisme au Canada. « Au Canada, le racisme anti-Noir·e·s ne fait pas de bruit, écrit Robyn Maynard1. Bon nombre de Canadien·ne·s suivent de près l’ébullition croissante entourant les relations raciales aux États‐Unis; mais ils tiennent à bonne distance de leur réflexion les inégalités raciales entachant leur propre pays. »
Pourtant, la communauté noire, le militantisme antiraciste et la lutte pour la justice raciale dans ce pays ont une longue histoire. Bien que les manifestations de juin 2020 se soient maintenant calmées, un héritage important de Black Lives Matter, qui se traduit par « Les vies noires comptent » ou « La vie des Noir·e·s compte », est la façon dont il a mis en lumière les réalités du racisme antinoir au Canada, ici et maintenant.
Les vies noires comptent, partout
Black Lives Matter (#BlackLivesMatter) a commencé comme un mot‐clic. Il est devenu un cri de ralliement grâce à Opal Tometi, Patrisse Cullors et Alicia Garza après l’acquittement en 2013 de George Zimmerman, qui avait abattu Trayvon Martin, âgé de 17 ans. Black Lives Matter s’est rapidement transformé en un mouvement social, avec des sections communautaires qui se sont créées organiquement un peu partout aux États‐Unis.
Plusieurs sections canadiennes de Black Lives Matter ont également vu le jour à cette époque. Elles se sont efforcées d’attirer l’attention sur les violences policières au Canada ainsi que sur d’autres formes de surveillance des personnes noires par l’État.
Résistance et dénégation
À ses débuts, Black Lives Matter a été accusé d’être une image de marque ou un mot‐clic plutôt qu’un mouvement social. Les critiques ont affirmé que le mouvement avait des objectifs politiques peu clairs et peu pratiques. Sa structure décentralisée, basée sur des chapitres, fièrement queer et dirigée par ses membres a été comparée de manière négative à l’aspect hiérarchique et « respectable », dominé par les hommes, du mouvement américain pour les droits civiques des années 1950 et 1960.
Cette comparaison tend toutefois à faire oublier à quel point le mouvement des droits civiques était controversé et radical. Bien que la non‐violence ait été un élément clé de la philosophie de Martin Luther King, ce dernier a poursuivi des tactiques de confrontation et de perturbation. BLM s’appuie sur un riche héritage historique de militantisme noir radical, notamment les mouvements anticoloniaux, le mouvement Black Power et la lutte contre l’apartheid.
Au Canada, le mouvement fait l’objet d’un scepticisme supplémentaire. Il est ancré dans la croyance sociale générale selon laquelle le Canada est une société diversifiée, tolérante et multiculturelle, surtout si on la compare aux États‐Unis. Le multiculturalisme est un élément clé de l’identité nationale canadienne. Cependant, en tant qu’ensemble de politiques, le multiculturalisme a souvent reconnu et célébré diverses identités culturelles sans s’attaquer au racisme systémique ou aux inégalités raciales. En fait, les critiques affirment que cette croyance de la population dans les vertus du multiculturalisme tend à dissimuler les réalités du racisme canadien dans la conscience publique.
Et, bien sûr, il y a eu les personnes qui ont créé le contre‐slogan « All Lives Matter » (toutes les vies comptent). Elles ont accusé BLM de « racisme inversé » et ont interprété Black Lives Matter comme signifiant que seules les vies noires comptent, au lieu de ce qu’il suggère en réalité, à savoir que les vies noires devraient aussi compter. Le slogan « All Lives Matter » est un excellent exemple de daltonisme racial, qui prétend que le racisme appartient au passé et que la couleur de la peau n’est pas associée à des systèmes de pouvoir, de privilèges et d’exploitation. Des refrains comme « All Lives Matter » visent à étouffer les discussions sur le racisme et les tentatives des personnes qui militent pour changer le statu quo.
L’histoire et la diversité de la communauté noire du Canada
Un objectif important de Black Lives Matter au Canada est la célébration de l’histoire des personnes noires, de leur résilience et de leur présence dans ce pays.
L’esclavage a existé au Canada pendant plus de 200 ans. Il a été limité au Haut‐Canada en 1793 et n’a été éliminé que lorsque la loi sur l’abolition de l’esclavage du Parlement britannique est entrée en vigueur le 1er août 1834 – le premier Jour de l’émancipation.
Au‐delà des personnes réduites en esclavage au Canada contre leur gré, les spécialistes considèrent généralement que la migration des personnes noires vers le Canada s’est faite en trois grandes vagues. Chacune d’entre elles était diverse et distincte et a contribué à produire la texture riche et variée de la culture noire du Canada d’aujourd’hui :
- La première est celle des loyalistes, environ 3 000 personnes noires, esclaves ou libres, qui se sont battues pour les Britanniques pendant la Révolution américaine.
- La deuxième vague est celle des dizaines de milliers de personnes noires qui ont fui l’esclavage américain et se sont réfugiées au Canada après l’adoption de la loi sur les esclaves fugitifs par le Congrès américain en 1850.
- La troisième vague, la plus importante et la plus récente, est arrivée dans les décennies qui ont suivi 1967. C’est à cette époque que le Canada a remplacé sa politique d’immigration ouvertement raciste par un système de points. Cette vague d’immigration comprenait des personnes noires américaines fuyant la guerre du Viêt Nam, des gens originaires du Commonwealth britannique (Nigeria, Ghana, Jamaïque, etc.) ainsi qu’une forte communauté noire francophone originaire d’Haïti et du continent africain.
Aujourd’hui, le Canada noir est diversifié, dynamique et fait partie intégrante du tissu national. Selon Statistique Canada, 1,5 million de personnes au Canada ont déclaré être noires en 2021, et 41 % d’entre elles ont déclaré être nées au Canada2. En 2016, les personnes noires immigrées provenaient de plus de 170 lieux de naissance différents. La grande majorité de la population noire – 94,3 % – vit dans les centres urbains canadiens. Près de 40 % vit à Toronto, ce qui représente 7,5 % de la population de cette ville. Plus de 6 % des populations d’Ottawa-Gatineau et de Montréal sont noires3. Statistique Canada prévoit que la population noire pourrait dépasser les trois millions de personnes d’ici 2041, ce qui en ferait le deuxième groupe racisé le plus important du pays4.
Inégalités raciales
Bien que les communautés noires canadiennes soient diverses en termes de nationalité, de religion, de langue et autres, elles font face à des difficultés similaires. Des disparités raciales réelles et durables peuvent être observées dans presque tous les indicateurs socio‐économiques, y compris les résultats scolaires, l’emploi, le revenu et la richesse, le maintien de l’ordre, l’incarcération, la santé, la sécurité alimentaire, la protection de l’enfance, l’environnement et le logement5.
Ce que les personnes noires de tout le pays ont en commun, c’est que la plupart d’entre elles ont été exposées au racisme sous une forme ou une autre. Selon un sondage national de la communauté noire canadienne, sept personnes noires interrogées sur dix ont été victimes d’un traitement injuste en raison de leur race, régulièrement ou de temps en temps. Plus de 75 % des personnes interrogées considèrent que la discrimination raciale sur le lieu de travail et dans le système de justice pénale est un problème6.
Ces expériences et les obstacles systémiques à l’inclusion sont l’un des principaux moteurs des mouvements sociaux noirs contemporains. Black Lives Matter fait partie d’une constellation plus large d’organisations dirigées par des personnes noires qui mènent la lutte pour la justice raciale. Le Sommet pancanadien des communautés noires en est une autre, qui a publié en 2022 la « Déclaration d’Halifax », dans laquelle la reconnaissance, la justice et le développement sont considérés comme des « revendications corollaires que nous clamons et continuerons de clamer haut et fort, de porter loin, de défendre, d’exiger et de cultiver, sans jamais baisser les bras, tant elles sont indispensables et pour tous les peuples opprimés »7.
Soins communautaires et demandes de changement
Face aux critiques et aux inégalités raciales persistantes, les engagements fondamentaux du mouvement BLM n’ont pas faibli. Black Lives Matter s’inspire d’un féminisme noir radical qui met l’accent sur l’entraide. Il reconnaît que le racisme provoque des traumatismes psychologiques, considère la joie comme une ressource politique importante à partager entre les membres de la communauté et croit en l’abolition de la police et des prisons8.
Au Canada, des militant·e·s ont contesté les pratiques policières de fichage et de contrôle dans la rue et ont attiré l’attention sur l’usage disproportionné de la force contre les personnes noires et autochtones, ainsi que sur les récents meurtres d’Abdirahman Abdi, de Bony Jean‐Pierre, d’Andrew Loku, de Regis Korchinski‐Paquet et d’autres personnes noires commis par la police dans des centres urbains canadiens.
De manière plus générale, les militant·e·s de Black Lives Matter mettent en lumière la violence à laquelle font face les communautés marginalisées, telles que les Autochtones, les personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe, les sans‐abri et la communauté transgenre. Ces militant·e·s ont également fait pression pour mettre fin aux expulsions de personnes migrantes noires, ont dénoncé le racisme antinoir dans les écoles et se sont alliées au mouvement « Land Back » des peuples autochtones.
Black Lives Matter cherche à changer les conditions de vie des populations noires au Canada, y compris les sans‐papiers, les sans‐abri, les queers, les transgenres, les personnes handicapées et les autres personnes en marge de la marginalité. La lutte est, et a toujours été, inclusive et intersectionnelle, avec l’intention de travailler en solidarité avec d'autres communautés qui désirent un monde meilleur et plus juste.
Progrès et potentiel
Il est clair qu’au cours de la dernière décennie, le militantisme des groupes, des organisations et des communautés axés sur la justice sociale a fait évoluer le débat sur des questions telles que la violence policière, le racisme antinoir et la persistance des inégalités raciales.
- Une étude interne menée par le service de police de Toronto a révélé l’usage disproportionné de la force contre les personnes noires et autochtones à Toronto.
- En 2022, la commissaire sur le racisme systémique du Nouveau‐Brunswick a publié un rapport contenant 86 recommandations pour lutter contre le racisme systémique dans les domaines de la santé, de l’éducation et d’autres secteurs politiques.
- Au Québec, le rapport de la coroner sur la mort de Joyce Echaquan, une Atikamekw qui a enregistré les insultes racistes du personnel soignant d’un hôpital québécois, condamne le racisme systémique dans les soins de santé.
- En Colombie‐Britannique, la Loi sur les données contre le racisme est entrée en vigueur en juin 2022, permettant au gouvernement provincial de collecter et d’utiliser des données ventilées par race afin de repérer et d’éliminer le racisme systémique.
- Le ministère de la Justice a lancé la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires afin de lutter contre le racisme antinoir au sein du système de justice pénale et de garantir à chaque personne l’accès à un traitement égal devant et en vertu de la loi.
En bref, les gouvernements de tout le pays commencent à reconnaître le racisme systémique et à élaborer des stratégies pour le combattre. Cependant, la suprématie blanche est un adversaire redoutable et, pour paraphraser Audre Lorde, nous ne pouvons pas compter sur les outils du maître pour démanteler la maison du maître. Le progrès nécessite une action concertée, ciblée et axée sur la justice de la part des gouvernements et de la population.
Alors que le soutien à Black Lives Matter aux États‐Unis a chuté de 68 % en juin 2020 à 51 % en avril 20239, le soutien à Black Lives Matter au Canada reste élevé, allant de 87 % des femmes noires et 78 % des hommes noirs à 60 % des hommes blancs et 68 % des femmes blanches10. Il reste cependant à voir si et dans quelle mesure ce soutien se traduit par des actions concrètes.
Au cœur du militantisme se trouve l’espoir tenace d’un monde plus juste sur le plan racial. Comme le dit la Déclaration d'Halifax, « Nous voulons croire aux rêves qu’il reste encore à faire aboutir, de toutes nos énergies rassemblées. Le chemin est long, les épreuves constantes, mais le mouvement engagé est incontournable. Nous ne reculerons pas. »
Questions de réflexion :
Qu’est-ce qui a changé depuis les manifestations Black Lives Matter de juin 2020?
Qu’ai-je appris, le cas échéant, sur l’histoire des personnes noires au Canada à l’école?
Quelle est la diversité de mon groupe d’ami·e·s, de ma famille, de mon école ou de ma communauté locale?
Histoire noire et les droits de la personne
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Références
- Robyn Maynard. NoirEs sous surveillance : Esclavage, répression, violence d’État au Canada. Montréal, Mémoire d’encrier, 2018, p. 3.
- Statistique Canada. « Le recensement canadien, Un riche portrait de la diversité ethnoculturelle et religieuse au pays », Le Quotidien, 26 octobre 2021. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/221026/dq221026b-fra.htmhttps://www150.statcan.gc.ca/n1/en/daily-quotidien/221026/dq221026b-eng.pdf?st=93XYOWv5
- Statistique Canada. « Diversité de la population noire au Canada : un aperçu », Ottawa, Statistique Canada, 2019. https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/89–657‑x/89–657-x2019002-fra.pdf?st=Iq4D_kgY
- Statistique Canada. « Le Canada en 2041 : une population plus nombreuse, plus cosmopolite et comportant plus de différences d’une région à l’autre », Le Quotidien, 8 septembre 2022. https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/daily-quotidien/220908/dq220908a-fra.pdf?st=zWZi1WjB
- Debra Thompson. The Long Road Home : On Blackness and Belonging, Toronto, Scribner Canada, 2022.
- Lorne Foster, Stella Park, Hugh McCague, Marcelle‐Anne Fletcher et Jackie Sikdar, Black Canadian National Survey : Final Report 2023, Université York, Institute for Social Research, 2023. https://www.yorku.ca/news/wp-content/uploads/sites/242/2023/06/BCNS-Report_2023-FINAL.pdf
- Sommet pancanadien des communautés noires. Déclaration d’Halifax pour l’élimination de la discrimination raciale, Fondation Michaëlle Jean, 2023, p. 4. https://www.blackcanadiansummit.ca/_files/ugd/3d2952_eb770fc7c65f471bb6f10e8d79b6e0e1.pdf?index=true
- Deva Woodly. Reckoning : Black Lives Matter and the Democratic Necessity of Social Movements. Oxford University Press, 2022.
- Juliana Menasce Horowitz, Kiley Hurst et Dana Braga, « Support for Black Lives Matter Has Dropped Considerably From Its Peak in 2020 », Pew Research Center, 14 juin 2023. https://www.pewresearch.org/social-trends/2023/06/14/support-for-the-black-lives-matter-movement-has-dropped-considerably-from-its-peak-in-2020/
- Black Canadian National Survey : Final Report 2023.
Citation suggérée
Citation suggérée : Debra Thompson. « Black Lives Matter et la lutte pour la justice raciale au Canada ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 26 septembre 2023. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/black-lives-matter-et-la-lutte-pour-la-justice-raciale-au-canada