Le Canada est fier de l’histoire du chemin de fer clandestin. Nous célébrons le fait d’avoir été une destination pour les personnes esclavagées américaines en quête de liberté qui fuyaient vers le nord. Mais le Canada a aussi sa propre longue histoire d’esclavage, et l’héritage de l’esclavage se perpétue dans le racisme anti‐noir au Canada aujourd’hui.
L’esclavage noir dans l’histoire canadienne
L’esclavage a fait partie de la formation de la nation coloniale du Canada pendant plus de 200 ans
Par Steve McCullough et Matthew McRae
Publié : le 22 août 2018 Modifié : le 16 février 2023
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Détails de l'histoire
Les pratiques d’asservissement dans ce qui est aujourd’hui le Canada précèdent le contact avec le monde européen. Certains peuples autochtones réduisent en esclavage les prisonniers de guerre1. Les gens arrivées d’Europe introduisent toutefois un autre type d’esclavage en Amérique du Nord.
Beaucoup d’entre eux considèrent les personnes asservies comme de simples biens à acheter et à vendre2. Cet « esclavage‐propriété » est un système déshumanisant et violent d’abus et de domination. Fait important, les personnes européennes abordent l’esclavage d’un point de vue racial, les personnes d’origine autochtone et africaine étant considérées comme moins qu’humaines. Cette suprématie blanche justifie la violence de l’esclavage pendant des centaines d’années.
La traite des esclaves inflige des souffrances inimaginables à des millions de personnes. Elle engendre également des stéréotypes et des préjugés racistes qui perdurent dans la société canadienne, même aujourd’hui, près de 200 ans après l’abolition de l’esclavage.
Qu’est-ce qu’était la traite transatlantique des esclaves?
Au 15e siècle, les puissances coloniales européennes commencent à transporter à grande échelle des personnes esclavagées depuis l’Afrique. Les marchands d’esclaves leur font traverser l’Atlantique dans des conditions horribles. Les autorités coloniales et les propriétaires terriens les forcent à travailler comme esclaves dans les Caraïbes et en Amérique du Nord et du Sud.
Un trajet typique se dessine, qu’on appelle le « commerce triangulaire ». Les marchands européens apportent leurs marchandises d’Europe en Afrique. En Afrique, ils échangent leurs marchandises contre des personnes esclavagées. Aux Amériques, les personnes asservies ayant survécu à la traversée sont vendues, et les produits du travail des esclaves sont ramenés en Europe pour y être vendus.
Plus de 12 millions de personnes africaines sont capturées et réduites en esclavage. Au moins deux millions d’autres meurent en traversant l’Atlantique. La violence généralisée des raids et des enlèvements d’esclaves tue et déplace des millions d’autres personnes.
Les colonisateurs européens appliquent une politique raciste de deux poids, deux mesures en matière d’esclavage, qui était illégal en France et en Angleterre depuis des centaines d’années. Pourtant, l’Angleterre et la France réduisent en esclavage des millions de personnes noires dans leurs colonies lointaines. La traite transatlantique des esclaves est donc une forme de violence et d’exploitation typiquement coloniale et suprémaciste. C’est un aspect essentiel de l’impérialisme et de l’exploitation européens dans la moitié du monde.
L’esclavage en Nouvelle‐France
La Nouvelle‐France est fondée au début des années 1600. Elle est la première colonie d’importance dans ce qui constitue aujourd’hui le Canada. L’esclavage est une pratique courante sur ce territoire. Au moment de la conquête de la Nouvelle‐France par les Britanniques en 1758–1750, selon les archives, environ 3,600 personnes esclavagées ont vécu dans la colonie depuis ses débuts3. La majorité d’entre elles étaient Autochtones (souvent appelées les « Panis »4). En raison de la traite transatlantique des esclaves, il y a aussi des personnes noires réduites en esclavage.
Le roi Louis XIV autorise l’importation de personnes esclavagées noires en Nouvelle‐France en 1689, à la demande du gouvernement colonial. En 1709, la Nouvelle‐France adopte des lois qui légalisent explicitement l’esclavage et définissent les esclaves comme étant des biens – et donc comme n’ayant aucun droit.
Un ensemble de règlements appelé Code Noir régit l’esclavage dans la plupart des colonies françaises. On ne sait pas si le Code Noir est formellement appliqué en Nouvelle‐France, mais il influence fortement les coutumes et la pratique de l’esclavage dans cette région5.
Les lois coloniales sur l’esclavage, telles que le Code Noir, offrent quelques protections minimales aux personnes asservies. Le Code oblige les propriétaires à fournir aux esclaves de la nourriture, un abri et des vêtements. Mais il donne également aux propriétaires d’esclaves le pouvoir d’infliger des punitions violentes aux esclaves, notamment en les marquant au fer rouge, en les mutilant et même en les tuant.
En Nouvelle‐France, les personnes noires libres risquent constamment d’être réduites en esclavage. En 1732, le gouverneur Jonquière réduit en esclavage un Noir en quête de liberté, qui était arrivé de la Nouvelle‐Angleterre, en se basant sur le fait qu’« un Noir est un esclave, où qu’il se trouve »6.
L’esclavage en Amérique du Nord britannique
L’esclavage se poursuit après la prise de contrôle officielle de la Nouvelle‐France par les Britanniques en 1763. Les accords officiels qui ont mis fin à la guerre confirment la poursuite de l’asservissement des personnes noires et autochtones.
L’ère de la domination britannique voit une augmentation du nombre de personnes esclavagées noires au Canada. À la fin des années 1770 et au début des années 1780, les loyalistes fuyant les États‐Unis nouvellement indépendants amènent avec eux des centaines de personnes noires réduites en esclavage. À son arrivée en 1792, John Simcoe, le premier gouverneur du Haut‐Canada (aujourd’hui l’Ontario), est surpris de voir combien de familles de colons possédent des esclaves7.
Le Canada d’alors est parfois décrit comme une « société avec des esclaves » plutôt qu’une « société esclavagiste ». À l’époque, une grande partie des Caraïbes et le sud des États‐Unis sont des sociétés esclavagistes. Dans ces régions, le travail à grande échelle des esclaves dans les plantations est une force dominante dans l’économie, la politique et la culture8.
Au début du Canada, les esclaves représentent une plus petite proportion de la population que dans les économies de plantation. Ainsi, ils travaillent dans un isolement relatif, ce qui empêche la création d’une communauté partagée. Cela permet peut‐être une surveillance encore plus intense de la part de la société blanche9.
Les personnes blanches de toutes les couches de la société possèdent des esclaves. Les marchands en possèdent le plus grand nombre, mais les agriculteurs, l’élite politique et l’Église sont également propriétaires d’esclaves. Les personnes esclavagées font office de domestiques, de main‑d’œuvre agricole et de personnel artisan qualifié. Leur travail forcé contribue au succès et à la prospérité des colonies britanniques qui sont devenues le Canada moderne.
De par sa nature, l’esclavage signifie que ses victimes sont privées de leurs droits fondamentaux, exploitées comme main‑d’œuvre et soumises à des violences et des souffrances arbitraires. La plupart des testaments de l’époque considèrent les personnes esclavagées comme des biens, transmettant la propriété des êtres humains exactement comme si ces gens étaient des meubles, du bétail ou des terres10.
Les propriétaires d’esclaves soumettent les personnes asservies à des conditions de travail et de vie terribles. Les abus physiques et sexuels sont une menace constante. Les personnes esclavagées vivent une vie extrêmement difficile et très courte. Ainsi, les personnes asservies noires en Nouvelle‐France meurent à l’âge moyen de 25 ans seulement11.
Résistance, évasion et militantisme
Les personnes asservies résistent souvent à l’institution de l’esclavage. Elles ripostent de nombreuses façons : en affirmant leur humanité face à un système qui voulait la leur dénier, en fuyant les esclavagistes ou en aidant d’autres personnes en quête de liberté. En fait, en 1777, un certain nombre de personnes esclavagées fuient l’Amérique du Nord britannique pour se réfugier dans l’État du Vermont, qui avait aboli l’esclavage la même année12.
Des campagnes publiques contre l’esclavage sont lancées en Angleterre à la fin des années 1700. Des personnes noires anciennement esclavagées, telles qu’Ignatius Sancho et Olaudah Equiano, ont une influence sur le combat abolitionniste par leur militantisme et leurs écrits. À partir des années 1770, des mémoires populaires sur l’esclavage et des procès largement médiatisés ayant libéré des personnes asservies inspirent une résistance croissante à l’esclavage en Angleterre.
Les sentiments abolitionnistes mettent plus de temps à atteindre le Canada. Mais au tournant des années 1800, les attitudes à l’égard de l’esclavage parmi la population libre de l’Amérique du Nord britannique commencent à changer. Des récits de violence déshumanisante et des arguments moraux contre l’esclavage commencent à apparaître dans les journaux.
Malgré l’afflux de personnes esclavagées au début des années 1780, peu de personnes sont encore esclaves au Canada à la fin des années 179013. L’esclavage est toutefois encore légal et les marchands et les politiciens pro‐esclavagistes tentent de maintenir cette situation.
L’abolition de l’esclavage en Amérique du Nord britannique
En 1793, un Noir nommé Peter Martin demande au gouverneur Simcoe d’agir contre un propriétaire d’esclaves qui avait violemment transporté une femme noire asservie, Chloe Cooley, du Haut‐Canada vers les États‐Unis pour la vendre. Les actions de ce propriétaire d’esclaves sont tout à fait légales à l’époque, et ce cas semble avoir inspiré Simcoe à introduire la première loi anti‐esclavage en Amérique du Nord britannique.
En 1793, le Haut‐Canada adopte une loi visant à mettre progressivement fin à la pratique de l’esclavage. La loi rend illégal le fait d’amener des personnes esclavagées dans le Haut‐Canada et déclare que les enfants nés de personnes asservies seraient libérés dès l’âge de 25 ans. Elle ne libère pas directement les personnes esclavagées, mais toute personne asservie qui arrive dans le Haut‐Canada est considérée comme libre14.
Dans le Bas‐Canada (aujourd’hui le Québec), une loi similaire n’est pas adoptée en raison de la pression exercée par des propriétaires d’esclaves influents – y compris des représentants élus – qui bloque la législation. Mais même en l’absence d’une interdiction catégorique, le statut juridique de l’esclavage s'affaiblit. Au début des années 1800, les tribunaux de diverses juridictions coloniales (notamment le Bas‐Canada et la Nouvelle‐Écosse) se prononcent contre les propriétaires d'esclaves et libèrent les personnes qui avaient été esclavagées15.
Le 25 mars 1807, la traite des esclaves est abolie dans tout l’Empire britannique, y compris en Amérique du Nord britannique. Cela rend illégal l’achat ou la vente d’êtres humains et met ainsi fin à la participation britannique à la traite transatlantique des esclaves. Mais l’abolition ne rend pas illégales la détention et l’exploitation des personnes esclavagées. La pratique générale de l’esclavage est abolie partout dans l'Empire britannique en 1834. Fait notable, l’Île-du-Prince-Édouard avait déjà prononcé l’abolition complète de l’esclavage en 182516.
Après la traite des esclaves
L’abolition de l’esclavage permet aux colonies britanniques d’Amérique du Nord de devenir une destination pour les personnes asservies qui fuient les États‐Unis et se dirigent vers le Nord en empruntant le célèbre chemin de fer clandestin. Il s’agissait d’un réseau informel de personnes, d’organisations, de cachettes, de maisons, de routes, de réseaux de transport et de tactiques qui aidaient les personnes en quête de liberté à échapper clandestinement à l’esclavage.
Cependant, les personnes noires au Canada doivent encore faire face à un racisme considérable dans les colonies (plus tard, le pays) qui avaient pratiqué l’esclavage pendant plus de 200 ans. Les attitudes et les pratiques racistes limitent considérablement les possibilités offertes aux personnes noires.
La ségrégation informelle marginalise encore les personnes noires cent ans plus tard, lorsque Viola Desmond est confrontée au racisme anti‐noir en matière d’études et au cinéma. Bien d’autres personnes noires canadiennes ont résisté à la pratique de la ségrégation dans la première moitié du 20e siècle.
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la grande majorité des femmes noires qui travaillent sont cantonnées au rôle de domestiques18. Certains syndicats sont explicitement anti‐noirs jusque dans les années 1950. Les porteurs de wagons‐lits ont été les premiers travailleurs noirs à organiser leur propre syndicat pour lutter pour de meilleurs salaires et conditions de travail.
La protection formelle contre les restrictions racistes en matière d’éducation, d’emploi et de logement commence seulement à apparaître dans les années 1950 et 1960. Diverses provinces adoptent des lois imposant des pratiques d’emploi équitables et créent des déclarations des droits et les premières commissions des droits de la personne19. Mais comme le montre le mouvement Black Lives Matter, la lutte contre le racisme anti‐noir se poursuit au Canada au 21e siècle20.
L’esclavage a été légal et pratiqué au début du Canada pendant une période plus longue que celle où il a été aboli. Et beaucoup d’idées, de stéréotypes et de pratiques racistes qui perdurent aujourd’hui trouvent leur origine dans la déshumanisation des personnes noires qui a justifié et soutenu la traite des esclaves21.
Cette histoire a été écrite à partir de recherches menées par Mallory Richard, ancienne chercheure et coordonnatrice de projets au MCDP.
Questions de réflexion :
Comment les gens parlent‐ils de la race et de l’ethnicité dans ma communauté?
Quand et où ai‐je appris l’existence de l’esclavage?
Dans quelle mesure l’histoire de l’esclavage est‐elle bien connue au Canada?
La servitude sous contrat et l’esclavage
Pendant de nombreuses années, la pratique de la servitude sous contrat a coexisté avec l’esclavage dans ce qui est aujourd’hui le Canada. Dans le cadre de ce système, les personnes signaient un contrat dans lequel elles s’engageaient à effectuer un travail non rémunéré pendant un certain nombre d’années en échange du transport, du logement et de la nourriture.
La servitude sous contrat était cruelle et exploitante, mais très différente de l’esclavage. À la fin de leur contrat, les domestiques sous contrat étaient libres de partir, et recevaient parfois un paiement en terres et en biens. En revanche, l’esclavage définissait les êtres humains comme des biens et impliquait un travail forcé à vie. Les enfants des personnes esclavagées devenaient également une propriété, ce qui rendait l’esclavage intergénérationnel.
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- Charles G. Roland, « Esclavage », Oxford Companion to Canadian History, Toronto, Oxford University Press, 2004, p. 585.
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- Robin Winks, The Blacks in Canada : A History, deuxième édition, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1997, p. 9.
- Fait référence aux « Pawnee », une nation autochtone qui habitait le bassin du fleuve Missouri, « Esclavage », Musée virtuel de la Nouvelle‐France, Musée canadien de l’histoire, https://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/pop…, lien consulté le 22 août 2018.
- Marcel Trudel, Deux siècles d’esclavage au Québec, Collection Cahiers du Québec, Montréal, Éditions Hurtubise, 2004, p. 119–122.
- Trudel, p. 57.
- Afua Cooper, « Acts of Resistance : Black men and women engage slavery in Upper Canada, 1793–1803 », Ontario History 94.1 (printemps 2007), p. 5–17.
- Harvey Amani Whitfield, North to Bondage : Loyalist Slavery in the Maritimes, Vancouver, Fernwood Press, 2016, p. 49.
- Robyn Maynard, NoirEs sous surveillance : Esclavage, répression, violence d’État au Canada, trad. Catherine Ego, Montréal, Mémoire d’encrier, 2018, p. 45.
- Winks, p. 53.
- Trudel, p. 136.
- Ken Alexander et Avis Glaze, Towards Freedom : The African‐Canadian Experience, Toronto, Umbrella Press, 1996, p. 29.
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- Kristin McLaren, « “We had no desire to be set apart”: Forced segregation of Black students in Canada West public schools and myths of British egalitarianism », The History of Immigration and Racism in Canada : Essential Readings, éd. Barrington Walker, Toronto, Canadian Scholars’ Press, 2008.
- Dionne Brand, « “We weren’t allowed to go into factory work until Hitler started the war”: The 1920s to the 1940s », The History of Immigration and Racism in Canada : Essential Readings, éd. Barrington Walker, Toronto, Canadian Scholars’ Press, 2008.
- Winks, p. 428ff.
- Rodney Diverlus, Sandy Hudson et Syrus Marcus Ware, éd., Until we are free : Reflections on Black Lives Matter in Canada, Regina, U Regina Press, 2020.
- Maynard, passim.
Citation suggérée
Citation suggérée : Steve McCullough et Matthew McRae. « L’esclavage noir dans l’histoire canadienne ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 22 août 2018. Modifié : le 16 février 2023. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/lesclavage-noir-dans-lhistoire-canadienne