Le massacre de Sharpeville

Un tournant violent dans l’histoire de l’apartheid sud-africain

Par Matthew McRae
Publié : le 19 mars 2019 Modifié : le 8 août 2023

Des gens se tiennent devant une rangée de cercueils. Visibilité masquée.

Photo : Peter Magubane

Détails de l'histoire

Le 21 mars 1960, la police d’un township noir d’Afrique du Sud a ouvert le feu sur une foule qui manifestait pacifiquement contre des lois oppressives, tuant 69 personnes. Aujourd’hui, partout dans le monde, on commémore le massacre de Sharpeville le 21 mars, Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.

L’apartheid et les passeports intérieurs

Le massacre de Sharpeville est survenu en Afrique pendant l’époque de l’« apartheid », un régime juridique raciste qui niait les droits et libertés de toute personne n’étant pas considérée comme une personne « blanche ».

La population blanche était minoritaire en Afrique du Sud et comptait pour seulement 15 % de la population, mais elle était au sommet de la société et de la sphère politique, détenant pouvoir et richesses. Pour leur part, même si les membres de la population sud‐africaine noire composaient 80 % de la population du pays, ils étaient marginalisés, réprimés et relégués tout au bas de la hiérarchie. Bien avant la création officielle de l’apartheid, les autorités coloniales blanches avaient eu recours à des lois racistes et à la violence pour réprimer la population noire. Puis, l’imposition de l’apartheid a formalisé et intensifié la discrimination et les inégalités fondées sur la suprématie blanche.

Apartheid signifie « séparation », en afrikaans. Le concept était officiellement appuyé, légalisé et promu par le Parti national (NP), élu de justesse en Afrique du Sud en 1948 par un électorat presque exclusivement blanc.

Les lois du régime de l’apartheid groupent la population sud‐africaine en quatre catégories : personnes blanches/européennes; personnes autochtones/noires; personnes de couleur ou métisses (de « races mêlées »); et personnes indiennes/asiatiques. Les lois de l’apartheid restreignent presque tous les aspects de la vie des personnes noires en Afrique du Sud.

Un jeune homme noir fait face à la caméra, brandissant un livret ressemblant à un passeport.

Un homme montre son passeport intérieur en 1985. Ces passeports limitaient les lieux où les personnes noires d’Afrique du Sud pouvaient vivre, travailler et voyager.

Photo : Nations Unies, CC BY-NC-ND 2.0

Certaines des lois les plus racistes étaient celles sur les « passeports intérieurs ». Ces lois obligeaient les personnes noires d’Afrique du Sud à porter sur elles des pièces d’identité spéciales que la police et d’autres autorités pouvaient contrôler à tout moment. Le gouvernement a utilisé ces passeports pour restreindre les lieux où les gens pouvaient travailler, vivre et se déplacer.

Des lois similaires existaient avant l’apartheid, mais sous l’apartheid, elles sont devenues plus mordantes. Les lois sur les passeports intérieurs étaient utilisées pour confiner la population noire dans des zones de peuplement réservées aux personnes noires. Elles étaient également utilisées pour contrôler et exploiter les gens noirs qui, pour travailler, pouvaient être contraints de vivre loin de leur maison et de leur famille. Des millions de personnes noires sud‐africaines ont été arrêtées, emprisonnées et brutalisées sous l’autorité de ces lois répressives.

Les origines de l'apartheid

Le régime de l’apartheid était fermement enraciné dans l’histoire coloniale de l’Afrique du Sud. Comme au Canada et dans d’autres régions colonisées, les puissances européennes ont violemment déplacé les communautés autochtones et pris le contrôle de leurs terres. Au moment où le NP a officiellement imposé l’apartheid, la minorité blanche contrôlait la quasi‐totalité des terres, soit 92 %.

Le NP était le produit de plusieurs siècles de conflits entre les colonisateurs hollandais et britanniques et les communautés autochtones. Le parti était formé surtout d’Afrikaners, les descendants des colons hollandais, convaincus que Dieu leur avait donné la mission d’établir une domination blanche. Une fois élu en 1948, le NP a adopté des lois pour renforcer les pratiques de ségrégation, d’oppression raciale et de suprématie blanche qui avaient cours depuis longtemps.

Résistance et Sharpeville

Pendant des années, bon nombre de personnes en Afrique du Sud ont manifesté pacifiquement contre les lois de l’apartheid, y compris les lois sur les passeports intérieurs. En mars 1960, un groupe appelé Congrès panafricain (PAC) a décidé d’organiser une manifestation dans le township noir de Sharpeville. Le plan prévoyait que les protestataires marchent jusqu’au poste de police local sans leur passeport intérieur et demandent à se faire arrêter, dans le cadre d’un acte de désobéissance civile.

Un gros véhicule blindé roule sur une route. Dans la foule massée des deux côtés du véhicule, les gens lèvent le poing en saluant avec le pouce levé.

Juste avant le début du massacre, un véhicule blindé circule au milieu d’une foule qui scande des slogans.

Photo : Africa Media Online, APN32136

Le 21 mars, des milliers de personnes marchent vers le poste de police de Sharpeville. Elles se rassemblent dans un geste de défi pacifique, refusant de porter leur passeport intérieur. Elles entonnent des chansons de liberté et scandent « Non aux passeports intérieurs! ». Simon Mkutau, qui a participé à la manifestation, se rappelle : « L’atmosphère était joviale; les gens étaient joyeux, chantaient et dansaient1. » Mais plus le temps avançait, plus il y avait de policiers, et plus il y avait de véhicules blindés. Des avions militaires ont commencé à survoler la foule. 

Puis, sans avertissement, la police a ouvert le feu sur les gens non armés. Lydia Mahabuke y était quand c’est arrivé. Elle a tenté de fuir, mais elle a senti quelque chose la frapper dans le dos : « Après avoir senti ça, j’ai essayé de regarder derrière moi. Les gens tombaient, se dispersaient. J’avais du sang qui me coulait le long de la jambe. Je boitillais. J’ai eu de la difficulté à me rendre chez moi2. »

Une grande foule fuit en courant vers le photographe; deux personnes sont à bicyclette.

Des gens fuient la fusillade au poste de police. Presque toutes les personnes qui ont été tuées ou blessées ont été tirées dans le dos.

Photo : Africa Media Online, APN36369

Au total, 69 personnes ont été tuées et plus de 180 personnes blessées, surtout par balle dans le dos en tentant de fuir la violence. Plus tard, un rapport a révélé que plus de 700 balles ont été tirées, toutes par la police3.

Par la suite, certains témoins ont déclaré avoir vu les policiers placer des fusils et des couteaux dans la main des victimes mortes, pour faire croire qu’elles étaient armées et violentes. D’autres affirment avoir vu des policiers se moquer des gens qu’ils trouvaient vivants, certains allant jusqu’à dire que les policiers ont achevé sur place certaines des personnes blessées. Dans certains cas, les policiers ont suivi les gens blessés à l’hôpital, puis les ont arrêtés et emprisonnés. Dans d’autres cas, ils laissaient un peu de temps aux victimes pour être soignées avant de les arrêter4.

Pendant que l’on se tenait là, en chantant, nous avons soudain vu la rangée de policiers pointer leur arme vers nous. On continuait à chanter et, sans un mot, sans le moindre avertissement, ils ont commencé à tirer.

Lydia Mahabuke

Répercussions du massacre

Après les arrestations, les gens de Sharpeville craignaient de parler de la tragédie. « Dans les jours qui ont suivi la fusillade, il ne s’est rien passé », explique Albert Mbongo, qui a participé à la manifestation et réussi à s’en sortir sans blessure5. « Personne n’osait en parler parce que si on en parlait, on se faisait arrêter. Je n’ai même pas pu assister aux funérailles; seulement les femmes et les enfants pouvaient y assister. »

Loin de Sharpeville toutefois, tant en Afrique du Sud qu’à l’extérieur du pays, de nombreuses personnes expriment leur indignation. Pour protester contre le massacre, le chef Albert Luthuli, président du Congrès national africain (ANC), brûle son propre passeport intérieur. Nelson Mandela et d’autres membres de l’ANC font de même en signe de solidarité. Peu après, le 30 mars, 30 000 personnes environ marchent vers Le Cap pour protester contre le massacre6.

Nelson Mandela brûle son passeport intérieur dans un petit contenant en métal.
Nelson Mandela brûle son passeport intérieur pour protester contre l’apartheid et dénoncer le massacre de Sharpeville, 1960. Photo : UWC‐Robben Island Museum Mayibuye Archives

La réaction internationale au massacre ne se fait pas attendre et est unanime. De nombreux pays partout dans le monde condamnent cette atrocité. Le 1er avril, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution condamnant le massacre et demandant au gouvernement sud‐africain d’abandonner sa politique d’apartheid. Un mois plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies déclare que l’apartheid viole la Charte des Nations Unies. C’est la première fois que les Nations Unies discutent de l’apartheid7.Six ans plus tard, résultat direct du massacre de Sharpeville, les Nations Unies font du 21 mars la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.

Le 21 mars est le jour où nous nous souvenons des personnes qui ont péri au nom de la démocratie et de la dignité humaine et où nous leur rendons hommage.

Nelson Mandela

Loin de Sharpeville toutefois, tant en Afrique du Sud qu’à l’extérieur du pays, de nombreuses personnes expriment leur indignation. Pour protester contre le massacre, le chef Albert Luthuli, président du Congrès national africain (ANC), brûle son propre passeport intérieur. Nelson Mandela et d’autres membres de l’ANC font de même en signe de solidarité. Peu après, le 30 mars, 30 000 personnes environ marchent vers Le Cap pour protester contre le massacre6.

La réaction internationale au massacre ne se fait pas attendre et est unanime. De nombreux pays partout dans le monde condamnent cette atrocité. Le 1er avril, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution condamnant le massacre et demandant au gouvernement sud‐africain d’abandonner sa politique d’apartheid. Un mois plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies déclare que l’apartheid viole la Charte des Nations Unies. C’est la première fois que les Nations Unies discutent de l’apartheid7. Six ans plus tard, résultat direct du massacre de Sharpeville, les Nations Unies font du 21 mars la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.

Photo aérienne d’une longue file de cercueils entourés d’une grande foule.
Bon nombre des personnes assassinées à Sharpeville ont été enterrées lors de funérailles collectives qui ont eu lieu quelques jours plus tard, le 30 mars 1960. Photo : Presse canadienne, CP24026439

Après Sharpeville, le gouvernement de l’Afrique du Sud devient de plus en plus isolé, mais refuse d’abandonner ses politiques d’apartheid et de discrimination raciale. Il commence par déclarer l’état d’urgence et emprisonne près de 2 000 personnes. Puis, le 8 avril 1960, il interdit l’ANC et le PAC – il est dorénavant illégal d’être membre de ces organisations.

De nombreux membres de ces deux organisations décident d’entrer dans la clandestinité. C’est le cas de Nelson Mandela. Il dira par la suite : « Nous adhérons à ce que dit la Déclaration universelle des droits de l’homme, que “la volonté du peuple est la base de l’autorité du gouvernement”; pour nous, accepter l’interdiction de nos organisations, c’était l’équivalent d’accepter de réduire les Africains et les Africaines au silence pour toujours8. »

Mandela et d’autres personnes ne croient plus qu’il soit possible de vaincre l’apartheid de manière pacifique. Tant le PAC que l’ANC forment des ailes armées et se lancent dans une lutte militaire contre le gouvernement. De nombreuses et longues années de lutte et de souffrance attendent les combattants et les combattantes, mais Sharpeville est le début de la fin pour l’apartheid. Prakash Diar, un avocat sud‐africain spécialiste des droits de la personne, explique : « Le monde entier était indigné parce que la police avait fait. Le 21 mars 1960, l’isolement de l’Afrique du Sud commence. 

Il aura fallu du temps, mais l’isolement et le boycottage de l’Afrique du Sud commencent doucement, parce que les pratiques du gouvernement sont inhumaines et injustes.

Prakash Diar

Questions de réflexion :

  • Comment les gens s’opposent-ils à l’injustice dans votre communauté?

  • Quels types de militantisme en faveur des droits de la personne ont un impact?

  • Comment nous assurer que nos gouvernements respectent les droits de la personne?

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L’histoire de Nelson Mandela

Nelson Mandela a passé 27 ans en prison pour s’être opposé au régime de l’apartheid en Afrique du Sud. Soumis à de dures conditions visant à briser sa volonté, il refuse d’abandonner ses tentatives pour réaliser l’égalité pour tous et toutes.

Nelson Mandela, un homme noir âgé aux cheveux grisonnants, forme un poing levé avec sa main droite et le tient au-dessus de sa tête. De sa main gauche, il tient la main de Winnie Mandela, une femme noire aux cheveux noirs. Elle sourit et forme un poing levé avec sa main gauche, à l'image du poing levé de Nelson Mandela. Une foule nombreuse est rassemblée derrière eux.

Références

  • 1 Tom Lodge. Sharpeville : An Apartheid Massacre and its Consequences, New York, Oxford University Press, 2011, p. 4.
  • 2 Ibid, 10.
  • 3 Sahm Venter, Exploring Our National Days : Human Rights Day 21 March, Auckland Park, Jacanda Media, 2007, p. 22.
  • 4 Tom Lodge, Sharpeville : An Apartheid Massacre and its Consequences, p. 13–14.
  • 5 Ibid, 17.
  • 6 The Road to Democracy in South Africa : Volume 1 [1960–1970], Pretoria, Unisa Press, 2010, p. 239.
  • 7 Sam Dubow, Apartheid 1948–1994, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 83.
  • 8 Kader Asmal, David Chidester et Wilmot James, éd., Nelson Mandela in his Own Words : From Freedom to the Future, London, Abacus, 2013, p. 30.
  • 9 Vous pouvez lire l’histoire des six de Sharpeville dans l’ouvrage de Prakash Diar The Sharpeville Six, Toronto, McClelland & Stewart Inc., 1990.

Citation suggérée

Citation suggérée : Matthew McRae. « Le massacre de Sharpeville ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 19 mars 2019. Modifié : le 8 août 2023. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/le-massacre-de-sharpeville

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