Les quatre libertés : la puissance évocatrice des objets

Par Jeremy Maron
Publié : le 21 juin 2017

Un livre dans une exposition. Sur la couverture, on peut lire : The Pocket Poets Series. Howl and Other Poems. Allen Ginsberg. Introduction by William Carlos Williams. Number Four. Visibilité masquée.

Photo : MCDP, Stephanie Chipilski

Détails de l'histoire

Une exposition intitulée « Les quatre libertés »; présentée dans la galerie Les tournants de l’humanité.

En janvier 1941, dans son discours sur l’état de l’Union, le président américain Franklin D. Roosevelt décrit quatre libertés fondamentales dont toute personne dans le monde devrait pouvoir jouir : liberté d’expression, liberté de religion, liberté de vivre à l’abri de la peur, et liberté de vivre à l’abri du besoin. Les États‐Unis ne sont pas encore entrés en guerre à ce moment‐là (ils le feront après le bombardement de Pearl Harbor en décembre 1941), mais, en parlant de ces libertés comme de libertés universelles, Roosevelt veut encourager le pays à soutenir l’effort de guerre des Alliés contre l’Allemagne nazie, dont les campagnes totalitaires d’agression et d’annihilation génocidaire sont l’antithèse de cet idéal de libertés universelles.

En 1948, devant les pertes humaines inimaginables engendrées par la Seconde Guerre mondiale, ces quatre libertés sont de nouveau énoncées, cette fois dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). On peut en effet y lire que la plus haute aspiration de l’humanité est « l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère ».

Évidemment, le temps nous a appris depuis qu’il est difficile de concrétiser cet idéal. En effet, partout dans le monde – y compris au Canada – la jouissance universelle de ces quatre libertés et des autres droits de la personne définis dans la DUDH demeure brimée.

Une grande vitrine contenant des objets.

L’exposition Les quatre libertés, dans la galerie Les tournants de l’humanité. 

Les objets en montre dans l’exposition Les quatre libertés racontent quatre histoires qui se déroulent dans diverses parties du monde. Elles illustrent l’importance des quatre libertés et les conséquences pour les gens qui en sont privés. Ces histoires disent aussi à quel point les droits et libertés sont fragiles et que, même là où on peut en profiter, il faut demeurer vigilant si on veut les conserver.

Pour illustrer la liberté d’expression, nous avons choisi une édition autographiée de l’ouvrage Howl and Other Poems, d’Allen Ginsberg. En 1957, le poème « Howl » de Ginsberg fait l’objet d’une poursuite en justice pour « obscénité » à San Francisco, au motif qu’il parle de manière obscène de sexe et de drogue. Le procès soulève une grande question, à savoir dans quelle mesure l’État peut (ou devrait) limiter l’expression. En fin de compte, le juge statue que le poème ne constitue pas des propos obscènes et qu’il faut protéger la liberté d’expression [traduction] « si nous voulons demeurer libres, en tant qu’individus et en tant que nation ». Le procès Howl marque un tournant pour la liberté de parole et d’expression.

L’importance de la liberté de religion est évoquée par des pages et des fragments d’une bible en ourdou, brûlée et endommagée en 2013 dans un attentat‐suicide à l’église All Saints’ à Peshawar, au Pakistan – un État où la discrimination sévit couramment contre les minorités religieuses comme les chrétiens, les hindous et les musulmans ahmadis, malgré une constitution qui vise à garantir la liberté de religion. Les pages de la bible sont prêtés au Musée par One Free World International, organisation qui œuvre à la défense des droits des minorités religieuses dans de nombreuses parties du monde.

La liberté de vivre à l’abri de la peur est illustrée par une trousse domestique de détection des radiations datant de la Guerre froide, une période de tensions politiques et militaires qui a duré de la fin des années 1940 jusqu’à 1991, principalement entre les États‑Unis et l’Union soviétique. Durant cette période, les deux superpuissances se font concurrence dans une « course à l’armement » et cherchent à réunir des armes nucléaires. La menace de guerre nucléaire a contribué à une culture de peur chez les deux parties en conflit. La trousse de détection des niveaux de radiation, conçue pour détecter les retombées radioactives dans une maison privée après une attaque nucléaire, nous a été prêtée par le Diefenbunker, Musée canadien de la Guerre froide.

Un sac de farine dans une exposition. Le texte sur le sac lit comme suit : All-Purpose Flour/Farine tout usage, White/Blanche, Enriched & Pre-Sifted/Enrichie et pré-tamisée, 2.5 kg/5.5lb

Un sac de farine en montre dans la galerie Les tournants de l’humanité, Collection du MCDP.

Photo : MCDP, Lucille Lévy

La liberté de vivre à l’abri du besoin est illustrée par un sac de farine – un objet apparemment banal utilisé comme point de départ pour raconter l’histoire si importante de l’insécurité alimentaire dans le nord du Canada. Le prix des aliments dans le Nord est beaucoup plus élevé qu’ailleurs au Canada en raison notamment de ce qu’il en coûte pour transporter les produits et pour exploiter un magasin en région éloignée. En 2016, par exemple, un sac de farine semblable à celui qui est exposé ici coûtait en moyenne 5 $ ailleurs au pays, tandis qu’au Nunavut, son prix moyen était de 13,70 $. La différence est encore plus frappante quand on pense que dans le « reste du Canada », il s’agissait d’une baisse par rapport à la moyenne de 2015, fixée à 5,03 $, et qu’au Nunavut, il s’agissait d’une augmentation par rapport à la moyenne de 2015, qui était de 13,60 $. À cause de ces prix élevés, les gens qui vivent dans le Nord n’ont souvent pas accès à suffisamment d’aliments abordables et sains, ce qui entraîne des problèmes médicaux dans de nombreuses communautés et familles nordiques.

Ces objets, et les histoires qu’ils véhiculent, ont une grande puissance d’évocation et nous rappellent à quel point l’idéal des droits universels est difficile à appliquer. Par contre, ces difficultés ne doivent pas être un frein à l’action, ni nous faire croire que la situation est désespérée. D’ailleurs, on trouve aussi dans la galerie Les tournants de l’humanité, juste à côté de cette exposition, des livres numériques interactifs qui racontent l’histoire de gens et de groupes qui travaillent localement pour tenter de faire en sorte que les idéaux que représentent les quatre libertés et la DUDH deviennent une réalité dans la vie de tous et de toutes, et ce, malgré les difficultés.

Nous espérons que le contenu fascinant de l’exposition Les quatre libertés, qui prête à réflexion, incitera les visiteurs et les visiteuses à considérer les droits de la personne comme étant à la fois précieux et vulnérables, et à réfléchir aux mesures – grandes ou petites – qu’ils ou elles peuvent prendre pour assurer la protection, la promotion et l’amélioration des droits de la personne dans leur propre sphère d’influence.

Citation suggérée

Citation suggérée : Jeremy Maron. « Les quatre libertés : la puissance évocatrice des objets ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 21 juin 2017. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/les-quatre-libertes-la-puissance-evocatrice-des-objets