Un des objets de la collection du Musée est un poème venu de l’Holocauste et rédigé en yiddish le 13 janvier 1943 par Herschel Zynoberg. Le poème manuscrit montre que, malgré la campagne des nazis pour éradiquer toute trace d’identité juive, Herschel gardait espoir.
Un poème yiddish venu de l’Holocauste
Un seul poème nous rappelle que même au milieu des atrocités, la dignité humaine persiste
Publié : le 14 avril 2014
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Détails de l'histoire
Herschel est né à Radom, en Pologne, en 1917. Sa famille a été victime de l’Holocauste après l’invasion nazie de 1939. Durant la Seconde Guerre mondiale, Herschel a été envoyé au ghetto de Radom, puis à Auschwitz, où il a été épargné parce que les nazis avaient besoin de ses compétences de couturier. Après la guerre, Herschel s’est retrouvé dans un camp pour personnes déplacées à Stuttgart, en Allemagne. Il est venu au Canada avec sa femme (elle aussi une survivante) vers 1947–1948 et est décédé en 1999.
Lorsque son fils Stan a découvert le poème en 2012, sa réaction, dit‑il, a été immédiate : il voulait en faire don au Musée. C’est avec enthousiasme que nous avons accepté le poème et sa traduction1 pour l’intégrer à notre collection permanente, car il y a là un lien tout à fait évident avec le mandat du Musée, qui est de favoriser le dialogue et la réflexion sur les droits de la personne. Non seulement s’agit‑il d’un témoignage personnel à valeur historique directement lié à l’Holocauste, mais aussi d’un document qui illustre la résilience de la dignité humaine. Le poème incarne la volonté de Herschel Zynoberg de préserver son identité religieuse, culturelle et linguistique, et ce, en dépit de la campagne brutale menée par les nazis pour éradiquer toutes traces de cette même identité. Comme Herschel a écrit ce poème au milieu de ses expériences de l’Holocauste, l’un des aspects les plus poignants de son témoignage est la façon dont s’y entremêlent espoir et désespoir. Le poème évoque de façon frappante le sentiment de désespoir régnant dans le ghetto : « La noirceur enveloppait encore les alentours. Le ciel morne pesait sur le ghetto toujours. » Il décrit les jeunes et les vieux, les pères et les mères qui attendent l’Ange de la mort (« Malech Hamavos »). Il parle aussi de la menace de violence qui plane sur le ghetto, décrivant « la neige blanche [qui] vira au rouge » après qu’on ait entendu « le crissement d’une botte sur la neige gelée ».
Et malgré tout, il y a des notes d’espoir. D’abord, le poème parle de résistance et de dignité. Herschel l’a rédigé le jour même2 d’une déportation de Radom à Treblinka. On y lit Herschel qui s’exclame : « Et les cœurs sombres s’enflammèrent. Victorieux, ils affrontèrent la mort, criant leur triomphe. »
Du poème se dégage aussi le désir de voir se perpétuer la langue et la culture yiddish. Le yiddish, langue principale de la majorité des Juifs tués au cours de l’Holocauste, a presque disparu avec le meurtre de millions d’entre eux. À la fin du poème, Herschel imagine « Notre chère ancienne Yiddishkeit » florissant éternellement au paradis (dans le « Gan Eiedn », ou jardin d’Éden).
Le poème se termine sur un appel au souvenir. Non seulement l’auteur s’exclame‑t‑il : « Yiskor! Aujourd’hui je me souviens de toute ma souffrance », mais il invite implicitement le lecteur à se souvenir de tous ceux et toutes celles visés par l’Holocauste, les gardiens de la « Yiddishkeit » (culture juive).
Après que le Musée ait reçu cet important morceau de l’histoire de l’Holocauste, nous avons demandé à Stan, le fils de Herschel, ce que ce poème représentait pour lui. Il a répondu : « Pour moi, ce poème, c’est l’expérience vécue par mon père durant la guerre. Il s’en dégage une atmosphère de fin des temps. Je crois qu’au moment où il a écrit ça, il ne pensait pas s’en sortir vivant. » Stan croit qu’avec ce poème, son père tentait de léguer quelque chose en disant : « Voici ce que je vous laisse en héritage. Ne l’oubliez pas. »
Non, nous ne l’oublierons pas.
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1 Le 13 janvier 1943
La noirceur enveloppait encore les alentours
Le ciel morne pesait sur le ghetto toujours
Un léger vent soufflait dans la tempête
Et passait sans ambages ni presse
La soirée s’évapora et nous quitta
Un petit matin gelé la remplaça
Un brouillard inhabituel annonçait un problème
Une journée de souffrance, de vol, de meurtre et de peine
Dans l’immobilité on attendait les Malech Hamavos
Le cœur suspendu, la colère contenue,
Une voix supplia Shma Israel
De détruire les pas de l’ennemi
Soudain, un bruit menaçant se fit entendre
Le crissement d’une botte sur la neige gelée
Le père se mordit la lèvre
La mère cria de douleur
Une vieille personne soupira amèrement
Un jeune poing se ferma sur sa furie
Pour une troisième fois, une époque terrible nous fit trembler
Et nous figea dans l’effroi
Une fois encore, la neige blanche vira au rouge
Et les cœurs sombres s’enflammèrent
Victorieux, ils affrontèrent la mort
Criant leur triomphe
Sans voir le matin
Sans voir qu’un jour venait de commencer
Parce que le diable m’étouffait
Et me blessait
Yiskor! Aujourd’hui, je me souviens de toute ma souffrance
Je vois des âmes dans des vêtements de soie
Là avec les vertueux dans le Gan Eiedn
Notre chère ancienne Yiddishkeit
2 Comme la date précise de la déportation de Herschel Zynoberg vers Auschwitz est inconnue, il est impossible de dire avec certitude s’il a écrit ce poème alors qu’il se trouvait dans le ghetto, ou s’il l’a écrit de mémoire durant sa captivité à Auschwitz. Toutefois, compte tenu de la référence implicite à la résistance et de la date, il est probable qu’il a rédigé le poème pendant qu’il était encore dans le ghetto, au milieu des préparatifs de la résistance.
Citation suggérée
Citation suggérée : « Un poème yiddish venu de l’Holocauste ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 14 avril 2014. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/un-poeme-yiddish-venu-de-lholocauste