L’après-midi du 13 septembre 1870, Elzéar Goulet entre dans le Red Saloon de Winnipeg. Il ne savait pas que ce serait sa dernière visite. Reconnu par d’autres clients pour son rôle dans la Résistance de la rivière Rouge, il est poursuivi par une foule dans la rue. Elzéar s’est battu pour sa vie – et a perdu.
Le meurtre d’Elzéar Goulet et la lutte pour les droits des Métis
Résistance, violence et la fondation du Manitoba
Par Karine Duhamel
Publié : le 10 septembre 2020
Mots-clés :
Détails de l'histoire
Il n’avait que 34 ans lorsqu’il a été tué, mais Elzéar Goulet avait déjà mené une vie bien remplie. Enfant élevé dans les traditions de sa famille, l’identité métisse d’Elzéar était étroitement associée au travail de piégeage et de commerce de ses parents et grands‐parents. Sa famille avait également des liens étroits avec le mouvement grandissant visant à affirmer les droits territoriaux et d’autonomie des Métis.
Sa vie et son meurtre sont étroitement liées au mouvement pour la définition et la défense des droits des Métis alors que le Manitoba est intégré dans le Dominion du Canada récemment formé. Son rôle dans l’histoire des Métis et de la province du Manitoba mérite une reconnaissance plus large, en tant que participant à la résistance métisse et compatriote de Louis Riel.
La traite des fourrures
Pendant des générations, la famille d’Elzéar a été profondément liée au commerce des fourrures. Son grand‐père maternel était un Écossais, John Siveright, qui a commencé à travailler pour la Compagnie du Nord‐Ouest en 1799, d’abord dans le nord‐ouest de l’Ontario, puis à Portage La Prairie, au Manitoba.
En 1816, Siveright a été accusé de complicité dans le meurtre du gouverneur Robert Semple et de 22 colons écossais. En tant que représentants de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH), ce groupe de colons s’était engagé dans une lutte armée avec des commerçants métis de la Compagnie du Nord‐Ouest lors de la bataille de La Grenouillère, juste à l’ouest de Winnipeg. Les conflits politiques et même violents étaient une réalité constante pendant cette période d’expansion coloniale, qui impliquait une emprise coloniale croissante sur les territoires autochtones traditionnels.
Les accusations portées contre Siveright ont plus tard été abandonnées et il a continué à travailler pour la Compagnie du Nord‐Ouest pendant plusieurs années à Sault‐Sainte‐Marie. L’épouse de Siveright – la grand‐mère d’Elzéar – était une Métisse nommée Louise Roussin, originaire de Sault‐Sainte‐Marie, en Ontario.
Le grand‐père paternel d’Elzéar, Jacques Goulet, a travaillé pour la Compagnie du Nord‐Ouest en Athabasca comme voyageur de 1804 jusqu’à la fusion de la Compagnie du Nord‐Ouest et de la CBH en 1821. Jacques a continué à travailler pour le district de la Saskatchewan de la CBH jusqu’à sa retraite.
Alexis Goulet, le père d’Elzéar, était également un homme de la Compagnie. Né à Saint‐Boniface en 1811, Elzéar a travaillé pour la CBH comme rameur sur un bateau d’York, puis est devenu un marchand autonome dans la colonie de la rivière Rouge.
Chercher à faire reconnaître les modes de vie des Métis
Le père d’Elzéar était passionné par la cause des droits des Métis. Il était l’un des 22 chasseurs de bisons, marchands et transporteurs de marchandises métis qui se sont réunis le 29 août 1845 pour signer une lettre aux autorités coloniales de la rivière Rouge réclamant le droit des Métis de chasser et de faire du commerce à un prix équitable. Alexis et ses camarades pétitionnaires métis rejetaient le contrôle de la CBH sur les prix et le commerce qui dominait la vie et le travail des gens de la Rivière Rouge à l’époque.
La lettre illustre les tensions croissantes dans la région et les demandes qu’elle contient reflètent une vision du monde métisse fondée sur des idées importantes concernant la liberté de vivre, de commercer et de s’autogouverner selon les traditions métisses. Dans cette vision du monde, les concepts de kaa‐tipeyimishoyaahk et de wahkotowin occupent une place centrale.
Kaa‐tipeyimishoyaahk traduit en gros l’idée de l’autogestion, ou « nous sommes maîtres de nous‐mêmes ». Pour les Métis, cela signifiait un état d’autonomie et d’action politique indépendante, libre de toute contrainte extérieure, et une capacité à s’auto-gouverner et à se réguler.
Wahkohtowin, pilier important de ce système, fait référence à la responsabilité envers d’autres êtres, aux liens en tant que famille, déclenchant des obligations collectives envers ses proches et un réseau plus large de parenté.
Ces traditions ont été développées et partagées au sein des familles et à travers les principes et les pratiques de la chasse au bison, à laquelle Elzéar a sans doute participé dans son enfance avec son père Alexis. Elles impliquaient un engagement envers les principes de gouvernance des Métis, qui souvent étaient constitués en réponse à des menaces ou des événements spécifiques et se dissolvaient après coup, et qui incarnaient un esprit et un mode de vie indépendants.
La résistance des Métis
Il est clair qu’Elzéar a atteint sa maturité pendant une période de colonisation et de conflits. Et à l’âge adulte, il a été directement impliqué lorsque ces tensions croissantes ont éclaté en 1869.
En 1867, le pays du Canada avait vu le jour, gouvernant une partie relativement petite de ce que nous connaissons aujourd’hui comme le Canada. Deux ans plus tard seulement, le jeune gouvernement canadien a acheté la Terre de Rupert à la CBH. Ce vaste territoire s’étendait du sud des montagnes Rocheuses, puis au nord, autour de la baie d’Hudson jusqu’à l’île de Baffin, au nord du Québec et au Labrador. Il comprenait également les prairies canadiennes et la colonie de la rivière Rouge.
Le Canada a rapidement commencé à affirmer son contrôle sur ces terres. Un gouverneur anglophone, William McDougall, a été nommé pour imposer une domination coloniale directe sur les prairies canadiennes.
Ainsi, en 1869, le mode de vie indépendant des Métis semblait très menacé. Des changements se préparaient dans le territoire de la rivière Rouge. Ses résidents, qui n’avaient pas été consultés, ont été pris par surprise lorsque McDougall a envoyé des arpenteurs pour tracer, mesurer et cartographier le terrain selon le système de cantons carrés imposé par le Canada. C’est à ce moment que les Métis, menés par Louis Riel, ont empêché McDougall d’entrer dans le territoire.
Elzéar, devenu un jeune homme, s’est joint à un groupe organisé de Métis dirigé par Riel en 1869 à une barricade du pont sur la rivière LaSalle, bloquant ainsi la principale route nord‐sud entre les colonies de Pembina et Upper Fort Garry. La barricade avait pour but d’empêcher les fonctionnaires du gouvernement canadien de réclamer les terres occupées par les Métis.
Le gouvernement provisoire de Riel
En tant que capitaine dans le gouvernement provisoire de Riel, Elzéar a joué un rôle clé dans de nombreux événements importants de cette époque tumultueuse.
Il a été membre de la cour martiale pour Thomas Scott. Scott était arpenteur du gouvernement et membre de l’Ordre d’Orange, un groupe protestant qui s’opposait à Riel et aux préoccupations des Métis. Accusé de trahison contre le gouvernement provisoire de Riel, il a été mis à mort par peloton d’exécution en mars 1870.
Après l’exécution, Elzéar et une autre personne ont été chargés de se débarrasser du corps de Scott. Des rumeurs ont circulé selon lesquelles ils avaient habillé Scott en Métis et avaient jeté son corps dans la rivière Rouge. Ce supposé traitement a accru la colère et la haine des compagnons orangistes de Scott et de leurs alliés du gouvernement au sujet de l’exécution et a attisé les demandes pour la capture de Riel.
Le Manitoba devient une province du Canada
La Loi de 1870 sur le Manitoba a reçu la sanction royale le 12 mai 1870 et a constitué le Manitoba en province du Canada.
Il convient de rappeler que la Loi sur le Manitoba était basée sur une liste de droits que les Métis avaient préparée pour défendre leur terre, leur langue et leurs traditions. Cette liste de droits visait à garantir le droit à l’éducation et aux services en français et en anglais, sur un pied d’égalité; à maintenir une tolérance à l’égard du catholicisme, face à un nouvel ordre protestant; et à soutenir les traditions de parenté et d’autonomie qui avaient si longtemps préservé les coutumes des Métis.
Malgré la réalisation de cet accord, les tensions raciales étaient exacerbées par l’exécution de Scott et l’incertitude entourant la mise en œuvre de la loi. En raison de ces menaces potentielles, une expédition militaire dirigée par Garnet Joseph Wolseley a été déployée à Upper Fort Garry en août 1870. L’expédition avait pour mission de prendre le contrôle de la rivière Rouge jusqu’à l’arrivée de son nouveau lieutenant‐gouverneur, Adams George Archibald. Bien que Riel et de nombreux membres de son gouvernement provisoire aient fui, craignant pour leur vie, Elzéar avait choisi de rester.
Attaqué par une foule
C’est ainsi qu’Elzéar s’est retrouvé en infériorité numérique et à court d’options dans l’après-midi du 13 septembre 1870. Il avait décidé de se rendre au Red Saloon, à l’angle de l’avenue Portage et de la rue Main. Le saloon était connu comme un endroit turbulent et était situé tout près de l’endroit où les troupes du colonel Wolseley étaient en garnison à Upper Fort Garry. C’était sans aucun doute un geste audacieux d’y entrer. Mais Elzéar y est entré. Il a bientôt été reconnu, et une foule en colère l’a poursuivi dans la rue.
Elzéar a fui ses poursuivants mais n’a pas réussi à échapper à son destin. Au bout de l’avenue Lombard, Elzéar a plongé dans la rivière Rouge depuis le débarcadère de bateaux à vapeur situé à cet endroit, essayant de nager pour trouver refuge à Saint‐Boniface. Ceux qui le poursuivaient ont commencé à lancer des pierres depuis la rive.
Elzéar a été assommé pendant qu’il nageait et s’est noyé dans la rivière Rouge. Son corps a été retrouvé le jour suivant et il a été enterré à Saint‐Boniface.
Conséquences
Au lendemain de sa mort, le lieutenant Archibald a ouvert une enquête, désignant deux magistrats de la CBH pour entendre 20 témoins. Malgré les mandats d’arrêt préparés pour les poursuivants d’Elzéar, aucune arrestation n’a été effectuée.
Le meurtre d’Elzéar n’est pas le seul cas de violence perpétrée par des justiciers autoproclamés contre les Métis pendant cette période. Comme l’a écrit l’historien Fred Shore : « Les Métis étaient victimes d’agressions, d’outrages, de meurtres, d’incendies criminels et d’autres actes de destruction chaque fois qu’ils s’approchaient du Fort Garry, alors que la situation dans le reste de la zone de peuplement n’était guère meilleure2. » Ces actes ont été relatés dans les journaux de la Rivière Rouge, de St. Paul, de Toronto et de Montréal comme le « Règne de la terreur » à la Rivière Rouge. La violence a incité de nombreuses familles métisses à quitter la colonie et à chercher refuge aux États‐Unis, comme l’avait fait Riel, ou dans d’autres provinces.
En 2007, Daniel Vandal, Métis et alors conseiller municipal, a demandé
qu’un parc porte le nom d’Elzéar.
« Nous voulions un projet qui raconte une partie de notre histoire et qui utilise un de nos espaces verts. Louis Riel est connu dans tout le pays et j’espère que ce parc fera connaître Elzéar Goulet. C’est un pas dans la bonne direction », avait déclaré Daniel Vandal à l’époque.
Le parc Elzéar Goulet, à l’adresse 718, avenue Taché, à Saint‐Boniface, est désormais un monument permanent à la mémoire des violences qui se sont produites ce jour‐là.
Notre manière de nous souvenir et les personnes dont nous nous souvenons restent aujourd’hui fondamentales pour les histoires que nous racontons sur nous‐mêmes et nos origines. L’histoire d’Elzéar, bien qu’elle soit unique, raconte un récit plus vaste que l’histoire d’un meurtre commis par une foule enragée – c’est un reflet de l’histoire et du caractère même du Manitoba, tel qu’il a été créé.
Questions de réflexion :
Quels événements passés touchent encore ma famille ou ma communauté aujourd’hui?
Comment ai‐je appris l’histoire du lieu où je vis?
Y a‑t‐il des personnes qu'on a tendance à oublier?Qu'est-ce que je sais de la culture des personnes d’origines différentes qui vivent dans ma communauté?
Références
- 1 Stark Museum of Art, Orange, Texas, 31.78.12 7, « Metis Chasing the Main Buffalo Herd » (1846), par Paul Kane (1810–1871), légué par H.J. Lutcher Stark, 1965.
- 2 Fred J. Shore, « The Métis : Losing the Land », Aboriginal Information Series (Août 2006, Numéro 9), Office of University Accessibility. University of Manitoba.
Citation suggérée
Citation suggérée : Karine Duhamel. « Le meurtre d’Elzéar Goulet et la lutte pour les droits des Métis ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 10 septembre 2020. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/le-meurtre-delzear-goulet-et-la-lutte-pour-les-droits-des-metis