La réémergence des personnes bispirituelles au 21e siècle

Par Albert McLeod
Publié : le 26 février 2025

Un groupe de personnes portant des pancartes sur lesquelles on peut lire « 2-Spirited People of the 1st Nations » marchent au centre d’une rue de la ville, tandis que des gens regardent derrière des barrières de part et d’autre de la rue. Visibilité masquée.

Photo: 2-Spirited People of the 1st Nations

Détails de l'histoire

Nous ne savons pas – et ne saurons probablement jamais – combien de personnes LGBTQI+ bispirituelles/autochtones ont été touchées par la purge LGBT lorsque, des années 1950 aux années 1990, le gouvernement du Canada persécute systématiquement les personnes 2ELGBTQI+ employées par les Forces armées canadiennes, la GRC et la fonction publique. 

L’intention d’assimilation forcée à la culture blanche est si répandue à cette époque que l’identité et la culture autochtones, qu’elles soient inuites, métisses ou des Premières Nations, n’ont que peu ou pas d’importance. Ainsi, la question des Autochtones dans le gouvernement fédéral est complexe et difficile à analyser, en particulier en ce qui concerne les expériences des personnes bispirituelles.

Colonisation et effacement

Jusqu’à la Loi constitutionnelle de 1982, les personnes autochtones sont considérées comme des personnes excédentaires[1] qui ne sont pas censées participer pleinement à la société canadienne. L’État et de nombreuses églises s’entendent pour saper l’identité, la gouvernance et les droits fonciers des Autochtones pendant de nombreuses générations, en vertu de la Loi sur les Indiens et par la création de pensionnats et d’externats. L’imposition de l’identité sexuelle binaire et de l’hétéronormativité coloniales aux peuples autochtones a pour effet d’opprimer et de censurer l’inclusion historique des personnes bispirituelles dans les familles, les communautés et les nations. Finalement, le modèle binaire colonial est érigé en norme sociale.

Sur cette photo d’archives en noir et blanc, des dizaines de jeunes élèves autochtones sont vêtues en uniforme de filles, c’est-à-dire en robe et en béret, et se tiennent sur les marches d’un grand escalier menant au bâtiment scolaire. Au premier rang du groupe se trouvent cinq religieuses en habit et deux prêtres en soutane.
Sur cette photo d’archives en noir et blanc, des dizaines de jeunes élèves autochtones portent un uniforme de garçon composé d’une chemise, d’une cravate et d’un pantalon. Ils se tiennent sur les escaliers menant à un bâtiment scolaire.

Enfants au pensionnat indien Guy, en Saskatchewan, vers 1950. Ces écoles appliquaient un binarisme de genre colonial européen en contradiction avec la culture et la socialisation autochtones. Les garçons devaient porter les cheveux courts et s’habiller avec des chemises à col et des cravates. Les filles portaient des tuniques et des bérets. Les enfants étaient séparés par sexe, de sorte que les garçons et les filles, même frères et sœurs, n’avaient que peu ou pas de contact les uns avec les autres.

Photos : gracieuseté de Gary et Liz McLean

Le patriarcat, le militarisme et la masculinité s’affirment dans le contexte des conflits autochtones entre les Anglais et les Français et en collaboration avec eux dans l’est du Canada, ainsi que dans le commerce des fourrures dans l’ouest du pays. Dans cette culture hypermasculine et hétéronormative, l’« homosexualité » (caractérisée par la sodomie) est illégale et, dans certains cas, un crime passible de la peine de mort. Malgré l’application légale par le Canada des anciennes lois importées d’Europe qui interdisaient la sodomie, les peuples autochtones protègent leur population 2ELGBTQI+ autant que possible dans les communautés rurales, nordiques et éloignées, ainsi que dans les réserves. Cependant, sous l’œil vigilant des agents des Indiens, des prêtres et religieuses catholiques et des enseignant·e·s, toute expression d’homosexualité est considérée comme une corruption spirituelle, désapprouvée et punissable. 

Ce traumatisme historique et intergénérationnel entraîne certainement des suicides, des idées suicidaires et des comportements autodestructeurs[2] chez les personnes bispirituelles. En l’absence d’incitation à la recherche ou à la documentation de ce phénomène, nous ne connaîtrons jamais l’ampleur des décès liés au suicide ou aux traumatismes chez les personnes bispirituelles au cours de la longue histoire du Canada.

L’oppression des femmes et leur lutte pour l’égalité des droits sont étroitement liées à celles des personnes 2ELGBTQI+. Le statut de seconde classe des femmes canadiennes n’est abordé qu’en 1929, lorsque le Conseil privé du Royaume‐Uni décide que les femmes sont légalement des « personnes » et qu’elles peuvent donc siéger au Sénat canadien. Les femmes des Premières Nations obtiennent le droit de vote aux élections fédérales en 1960[3] et ont alors un statut juridique similaire. Dans le cadre du contrôle fédéral et provincial de la pratique des sages‐femmes, des traditions orales, des rites de passage, de la polygamie, des sciences de la guérison et de la gestion des écosystèmes chez les Autochtones, de nombreuses philosophies sociétales précoloniales importantes sont minées, éradiquées ou remplacées par les lois et les politiques institutionnelles occidentales.

Une invisibilité permanente

Un morceau de tissu violet est orné de fleurs rouges et bleu pâle et de symboles métis. La bordure est constituée de rayures vertes, blanches, roses, bleues, jaunes et orange. Les mots anglais « Two-Spirit Michif Local » (succursale bispirituelle michif) sont brodés dans un coin.

Un foulard représentant la section des Métis bispirituels, une section locale de la Fédération Métisse du Manitoba dans la région de Winnipeg qui sert les personnes qui s’identifient comme bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queers ou non binaires.

Photo : Albert McLeod

Le recours aux espion·ne·s et à l’espionnage pendant les conflits mondiaux est une tactique bien connue. Après la Seconde Guerre mondiale, la paranoïa liée à l’espionnage de la Guerre froide et au rôle présumé des gais et des lesbiennes donne lieu à la « Peur violette » (Lavender Scare) aux États‐Unis et à la purge LGBT au Canada. À l’époque de la purge au Canada, des personnes LGBTQI+ bispirituelles/autochtones inuites et des Premières Nations sont employées dans les Forces armées canadiennes, la GRC et la fonction publique, mais il est peu probable que nous saurons un jour combien. On estime qu’environ 35 personnes bispirituelles font partie des plaignant·e·s ayant participé au recours collectif et au processus de règlement de la purge LGBT.

L’histoire du règlement en juin 2018 du recours collectif lié à la purge LGBT recoupe celle de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens de mai 2006. En général, les personnes bispirituelles font déjà l’objet d’une purge[4] et sont exclues des emplois rémunérés du gouvernement fédéral en raison de l’oppression intergénérationnelle qu’elles subissent dans les pensionnats indiens et les externats, ainsi que de l’homophobie et de la transphobie qui règnent dans leurs communautés d’origine. L’intimidation, la honte et la violence sapent les objectifs éducatifs, et beaucoup d’élèves sont contraints de quitter l’école avant d’avoir obtenu un diplôme d’études secondaires. La transition vers les études secondaires, l’emploi et une carrière est hors de portée. 

La Commission de vérité et réconciliation du Canada (2008–2015) ne reconnaît pas que le cadre binaire et sexospécifique des pensionnats indiens élimine la diversité des identités, rôles et espaces de genres des personnes bispirituelles. Dans ce cas, le gouvernement fédéral et la Commission elle‐même se rendent complices de l’élimination des expériences des personnes bispirituelles au cours des 100 ans d’histoire des pensionnats et ne décrivent pas les impacts culturels et sociaux de cet effacement sur les communautés autochtones.

Reconnaissance et inclusion

Cependant, en novembre 2017, le premier ministre présente des excuses officielles à la Chambre des communes pour l’oppression des personnes 2ELGBTQI+ dans l’histoire coloniale du Canada. C’est la première fois que les personnes LGBTQI+ bispirituelles/autochtones sont reconnues et admises comme citoyennes par l’État.

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (2016–2019) permet de revenir à l’inclusion précoloniale des personnes bispirituelles dans son rapport final de juin 2019. Dans ses 231 appels à la justice, le rapport inclut 32 appels propres aux personnes 2ELGBTQQIA+, réclamant ainsi la place légitime des personnes bispirituelles dans l’histoire et dans la société contemporaine. 

Au cours des dernières décennies, certaines lois fédérales bénéficient aux personnes bispirituelles. Il s’agit notamment de la Loi sur le mariage civil (entre personnes de même sexe) de juillet 2005, de l’application du Code canadien des droits de la personne aux Premières Nations en 2011, et de l’inclusion des personnes de diverses identités de genre et des personnes bispirituelles dans la Loi canadienne sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de juin 2021. Le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres (FEGC) et le Plan d’action national pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées de juillet 2021 permettent également de financer cinq organisations bispirituelles sans but lucratif au Canada.

Lors d’une manifestation, quatre personnes autochtones tiennent un drapeau représentant une tortue, au centre de laquelle se trouvent des symboles bispirituels, dont deux plumes d’aigle réunies sur fond d’arc-en-ciel. Un drapeau arc-en-ciel flotte derrière les quatre personnes.

(De gauche à droite) Dale Ahenakew, Albert McLeod, Jonathon Potskin et Marissa Moar tiennent le drapeau de l’association 2 Spirits in Motion Society à la Marche de la Fierté de Winnipeg en 2022.

Photo : gracieuseté d'Albert McLeod

Selon le recensement de 2021, le Canada compte 1,8 million d’Autochtones. De ce nombre, jusqu’à 10 % – soit 180 000 personnes – pourraient être des personnes LGBTQI+ bispirituelles/autochtones. En l’absence de recherche dans ce domaine, il est impossible de savoir si les estimations devraient être encore plus élevées, peut‐être même jusqu’à 30 %. Quoi qu’il en soit, les communautés autochtones sont en train de se décoloniser et de faire de la place aux personnes bispirituelles. 

Les changements doivent toutefois être abordés dans le cadre d’une approche fondée sur les distinctions, car les identités, les histoires et les rôles LGBTQI+ peuvent être perçus différemment par les communautés inuites, métisses et des Premières Nations. Par exemple, le terme « bispirituel » ou « deux‐esprits » est introduit et adopté en Amérique du Nord en 1990. Cependant, les personnes LGBTQI+ autochtones n’adhèrent pas toutes à cette identité ou à cette étiquette, en particulier le peuple inuit. L’Assemblée des Premières Nations, pour faire suite à une recommandation visant à sensibiliser les membres des Premières Nations aux personnes bispirituelles (Stratégie nationale de lutte contre le VIH/sida de l’APN, 2001), approuve en juillet 2018 une résolution visant à créer une organisation et un réseau bispirituels à l’échelle nationale.

Plaidoyer continu

Le rassemblement international annuel des personnes bispirituelles, inauguré à Minneapolis en 1988, est une réalisation de longue date du mouvement de libération bispirituelle. Cet événement de quatre jours se tient encore au Canada et aux États‐Unis, en alternance, tous les ans. Il s’agit de l’un des événements de libération et de décolonisation autochtones queers les plus anciens de l’histoire de l’Amérique du Nord.

Le Monument national 2ELGBTQI+, qui sera officiellement inauguré à Ottawa à l’été 2025, est un autre point d’intersection entre la purge LGBT et le militantisme bispirituel. Un cercle de guérison bispirituel et un jardin de plantes médicinales traditionnelles font partie de sa conception par l’équipe du monument, de Winnipeg. Le monument, appelé « Coup de tonnerre », est entièrement financé par le Fonds Purge LGBT.

Enfin, en août 2020, le Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP) publie sa stratégie pour lutter contre les pratiques racistes, sexistes et homophobes repérées dans sa gouvernance et sa dotation en personnel, à la suite d’un examen public. La page Web, intitulée Vers une plus grande inclusion et une meilleure équité : Une approche globale pour lutter contre le racisme et la discrimination systémiques, comprend deux recommandations propres aux personnes bispirituelles.

Derrière un pupitre et un microphone, un homme autochtone portant un bandeau arc-en-ciel fixe une plume dans les cheveux d’une personne vêtue de rouge, avec un bandeau rouge peint sur les yeux.

Kelly Houle, maréchal de la parade, se fait ajuster sa plume par Wab Kinew, alors député provincial, lors du 30e rassemblement annuel de la Fierté de Winnipeg au Palais législatif du Manitoba, en 2017. Kelly Houle est décédée en février 2024.

Photo : Kevin King pour The Winnipeg Sun, une division de Postmedia Network Inc.

Recommandation no 9 : 

S’assurer que les relations avec les parties prenantes continuent d’inclure les communautés autochtones, et que l’on noue des relations avec les communautés noire, autochtone et LGBTQ2+ (en particulier les personnes trans, bispirituelles et de diverses identités/expressions de genre).

Recommandation no 30 : 

Procéder à un examen du contenu relatif aux peuples autochtones, aux personnes noires du Canada et aux personnes LGBTQ2+ (en accordant une attention particulière aux voix bispirituelles).

L’exposition Amours cachés : La purge LGBT au Canada du MCDP parle d’une époque de discrimination qui est passée dans l’histoire du Canada. Pourtant, pour les personnes bispirituelles, le danger est toujours présent, car l’héritage des pratiques génocidaires historiques alimente le racisme anti‐autochtone, les allégations de ne pas être « le bon type » de personne LGBTQI+ et l’ostracisme du secteur du leadership autochtone. Malgré cela, les personnes bispirituelles continuent de défendre leurs droits inaliénables, inhérents, civils, constitutionnels, universels et autochtones (inuits, métis et des Premières Nations). 

Photo au haut de la page : Un groupe de l’organisme 2‑Spirited People of the 1st Nations marche dans un défilé de la Fierté à Toronto dans les années 1960. Photo : 2‑Spirited People of the 1st Nations

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Catalogue Amours cachés : La purge LGBT au Canada

Cet article est extrait du catalogue de l’exposition Amours cachés : La purge LGBT au Canada, qui contient des réflexions et des récits sur l’histoire et le militantisme queers. Commandez votre exemplaire du catalogue de l’exposition dès aujourd’hui.

La couverture du catalogue « Amours cachés : La purge LGBT au Canada » montre des agents de la GRC au premier plan et une bannière multicolore avec « Réflexions sur l'histoire queer et son importance aujourd'hui ».

Amours cachés : Guide pédagogique

Accompagnez vos élèves dans leur découverte de l’importance historique de la purge LGBT et de la résilience des communautés 2ELGBTQI+ au Canada.

Image monochrome aux couleurs de l’arc-en-ciel d’une manifestation pour les droits des homosexuels à Ottawa.

Références

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  1. Angela Y. Davis, « Are Prisons Obsolete? », The Anarchist Library (2003), p. 91. https://theanarchistlibrary.org/mirror/a/ay/angela-y-davis-are-prisons-… Retour à la citation 1
  2. Maria Yellow Horse Brave Heart, « The historical trauma response among natives and its relationship with substance abuse : a Lakota illustration », Journal of Psychoactive Drugs 35(1) (Janvier‐mars 2003), p. 7–13. Retour à la citation 2
  3. Voir : « Droit de vote des femmes » dans L’Encyclopédie canadienne, (pas de date) à https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/chronologie/womens-suffrage Retour à la citation 3
  4. « Purge : Élimination radicale dans un groupe des éléments jugés indésirables. » Définition du Larousse en ligne (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/purge/65132). Retour à la citation 4

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Citation suggérée

Citation suggérée : Albert McLeod. « La réémergence des personnes bispirituelles au 21e siècle ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 26 février 2025. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/la-reemergence-des-personnes-bispirituelles-au-21e-siecle

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