Misogynie en ligne : la « manosphère »

Un sexisme numérique extrémiste aux conséquences dangereuses dans le monde réel

Par Steve McCullough
Publié : le 12 septembre 2023

Un homme blanc aux cheveux courts est assis seul à un bureau illuminé dans une pièce sombre. Il fixe un écran d’ordinateur. Visibilité masquée.

Photo : Adobe Stock

Détails de l'histoire

Un nombre croissant d’hommes véhiculent en ligne des idées haineuses à l’égard des femmes et des personnes transgenres et non binaires. Certaines communautés Internet encouragent et célèbrent même la violence sexiste. Comment en sommes‐nous arrivés là? Pourquoi est‐ce que certains hommes et garçons sont attirés par des influenceurs et des groupes extrémistes, et même les recherchent?

La « manosphère » désigne une grande variété de groupes d’hommes actifs sur Internet et hors ligne. Nombre d’entre eux se décrivent comme luttant contre les idées progressistes (ou « woke ») sur l’égalité des sexes et des genres. Les influenceurs de la manosphère affirment souvent l’idée infondée que les hommes sont naturellement dominants. Ils déforment la biologie et l’évolution pour affirmer que les normes restrictives en matière de genre sont « naturelles »1.

Les groupes de surveillance de l’extrémisme appellent cet ensemble d’idées la « suprématie masculine »2. Comme la suprématie blanche, la suprématie masculine attire les hommes qui se sentent aliénés dans un monde en mutation. Les influenceurs de la manosphère promettent aux hommes de les soutenir et de leur donner un sens. Mais ils refusent les droits et le respect aux femmes, aux personnes transgenres et aux personnes non binaires. Ils défendent également une idée étroite de la masculinité qui impose des limites nuisibles à ce que signifie être un homme.

Ces attitudes sexistes peuvent conduire au harcèlement et aux abus sexuels. Dans le pire des cas, les groupes de la manosphère encouragent la violence sexiste et célèbrent les meurtres de masse. Ces dernières années, la manosphère a gagné en popularité et en radicalité3. Le Service canadien du renseignement de sécurité considère désormais la misogynie violente comme une forme d’extrémisme idéologique4. En 2020, un jeune homme a été – pour la première fois au Canada – accusé de terrorisme dans le cadre d’une attaque violente visant des femmes5.

Mais les influenceurs et les adeptes de la manosphère ne sont pas seulement des marginaux culturels bizarres. La plupart des croyances sexistes qui les motivent ne sont que trop répandues dans la société moderne. La manosphère prend des préjugés quotidiens et les amplifie jusqu’à des extrêmes misogynes.

Qu’entend-on par « sexisme » et « misogynie »?

Sexisme : l’idée que les femmes, les personnes transgenres et les personnes non binaires sont intrinsèquement inférieures aux hommes cisgenres.

Misogynie : Attitudes haineuses ou contrôlantes à l’égard des femmes, des personnes trans et des personnes non binaires, qui s’expriment notamment par des préjugés, des barrières et des comportements nuisibles.

La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) déclare que : « la discrimination à l’encontre des femmes viole les principes de l’égalité des droits et du respect de la dignité humaine, qu'elle entrave la participation des femmes, dans les mêmes conditions que les hommes, à la vie politique, sociale, économique et culturelle de leur pays, qu’elle fait obstacle à l’accroissement du bien‐être de la société et de la famille et qu’elle empêche les femmes de servir leur pays et l’humanité dans toute la mesure de leurs possibilités »6.

En termes simples, la discrimination, le harcèlement et la violence sexistes sont des violations des droits de la personne.

Qu’est-ce qui motive la manosphère?

Les idées sexistes et la bigoterie masculine organisée ne sont pas nouvelles. La lutte pour l’égalité des sexes et des genres se heurte depuis des décennies aux réactions négatives des personnes qui militent pour les droits des hommes. Ces personnes s’appuient souvent sur des préoccupations bien réelles :

  • L’évolution de l’économie mondiale a réduit la sécurité et la disponibilité de nombreux emplois traditionnellement « masculins ».
  • Les avancées en matière d’égalité des sexes et des genres et de droits 2SLGBTQI+ remettent en question et modifient les idées traditionnelles sur les rôles genrés. Certains hommes sont déstabilisés par ces changements. Ils doivent faire face à de nouvelles attentes sociales. On leur demande de partager le pouvoir et les privilèges pour la première fois.
  • Les hommes présentent des taux élevés (et croissants) de problèmes de santé mentale, notamment de solitude, de dépression et de suicide.

Il s’agit là de questions complexes qui résultent de décennies de changements politiques, économiques et technologiques. Mais la manosphère met tout ça sur le dos des femmes.

Ces groupes ont en commun une fixation sur les femmes et le féminisme comme cause des problèmes personnels et sociaux des hommes. L’historien Michael Kimmel décrit cette réaction émotionnelle comme un mécontentement des hommes s’appuyant sur la croyance que tout leur est dû (« aggrieved entitlement »)7. Elle se produit lorsque des personnes ayant du pouvoir et des privilèges considèrent les améliorations en matière d’égalité et d’inclusion comme une perte de statut et donc comme une attaque personnelle contre elles‐mêmes.

Dessin d’un homme chauve portant des lunettes de soleil et tendant les mains vers la personne qui regarde l’image, paumes vers le haut. Sa main droite est colorée en bleu et offre une pilule bleue. Sa main gauche est colorée en rouge et propose une pilule rouge.

Les idées suprémacistes masculines circulent largement en ligne. Les mèmes sur la prise de la « pilule rouge » sont très courants. Ils font référence au choix que Morpheus présente à Neo dans le film The Matrix. Ils impliquent souvent que l’apprentissage des idées suprématistes masculines (la « pilule rouge ») vous fera prendre conscience des forces féminines qui oppriment secrètement les hommes.

L’affirmation courante selon laquelle il y a une « guerre contre les hommes » ignore la plupart des forces sociales, économiques et politiques qui influent sur la vie de chaque personne, quel que soit son genre. Elle ignore également les inégalités de pouvoir et les privilèges dont jouissent encore les hommes dans le monde. Il s’agit en fait d’une théorie de complot sans fondement.

Des groupes en apparence très différents de la manosphère – tels que les artistes de la drague et les incels misogynes – partagent en fin de compte des convictions misogynes similaires.

Cette période d’instabilité et de changement a donné naissance à une croyance omniprésente selon laquelle les gains de droits et de pouvoir des femmes signifient forcément que les hommes perdent quelque chose.

Rachel Giese, Boys: What it Means to be a Man

Les artistes de la drague et les « hustle bros » (frères arnaqueurs)

Le monde des pick‐up artists (PUA) est parfois appelé la « communauté de la séduction ». Il comprend des influenceurs, des entreprises et des forums qui enseignent aux hommes comment rencontrer et manipuler des femmes et avoir des relations sexuelles avec elles. Leurs tactiques incluent la manipulation émotionnelle et la coercition physique. Nombre d’entre eux encouragent tacitement le viol et les agressions sexuelles.

À la fin des années 2010, Roosh V était l’un des PUA les plus célèbres au monde. Il a auto‐publié une série de livres sur le tourisme sexuel qui ont été qualifiés de « guides du viol »8. Son forum Internet, Return of Kings, était truffé de misogynie, de racisme et d’antisémitisme. Roosh V a fait les gros titres en 2015 lorsqu’il a écrit un article sur la légalisation des agressions sexuelles.

Ces dernières années, les artistes de la drague ont cédé la place aux « hustle bros » ou « frères arnaqueurs ». Ces influenceurs allient des conseils misogynes en matière de relations à des combines pour s’enrichir rapidement.

Une foule de quelques dizaines de personnes rassemblées dans un petit parc urbain écoutant deux personnes parler. Les personnes qui parlent sont debout sur un muret et tiennent des documents. Certains membres de la foule dessinent des pancartes de protestation.

En 2015, Roosh V a été confronté à des protestations publiques au Canada alors qu’il devait prononcer des discours à Toronto et à Montréal9. Finalement, il est quand même venu au Canada et s’est adressé à de petits groupes d’adeptes.

Photo : Journal de Montréal, Marie-Christine Noël

Pendant la pandémie de COVID‐19, Andrew Tate est apparu comme le nouveau visage représentant les « hustle bros » de la manosphère. Il a été exclu de TikTok, de YouTube et d’autres plateformes pour avoir prôné la violence à l’égard des femmes. Malgré cela, ses vidéos ont été visionnées des milliards de fois. Andrew Tate présente et vend un modèle de masculinité hyper‐macho. Sa version de la suprématie masculine met l’accent sur la violence, la richesse et la compétitivité.

Comme Roosh V et d’autres PUA, Andrew Tate exprime une franche hostilité à l’égard des femmes. Il s’identifie ouvertement comme un misogyne10. Il nie la capacité d’action et l’humanité des femmes. Il prône la violence contre les femmes et minimise la gravité des agressions sexuelles11. En 2022, la police roumaine a arrêté Andrew Tate pour trafic d’êtres humains, agression sexuelle et exploitation de femmes à des fins pornographiques12. Il n’est pas le seul à être accusé d’actes criminels sexistes. D’autres artistes de la drague ont aussi été condamnés pour avoir filmé illégalement des femmes, pour viol et pour avoir menacé des femmes de violence et de meurtre.

Image mème sous forme de deux courts dialogues. Une femme aux cheveux noirs et au collier clouté déclare : « Je veux juste abolir le plafond de verre », ce à quoi un homme chauve à lunettes répond : « Désolé, mais les femmes sont des suiveuses, les hommes sont des leaders. » En dessous, un barbu dit : « Abonnez-vous à mon cours de 300 $/mois pour devenir un mâle alpha » et l’homme à lunettes dit : « PRENDS MON ARGENT. »

Les mèmes sont très largement utilisés pour résister et critiquer la manosphère. Celui‐ci met en évidence l’une des nombreuses contradictions des idées suprémacistes masculines. Les influenceurs promeuvent l’idée que les hommes sont intrinsèquement supérieurs, mais vendent également des cours coûteux pour apprendre aux hommes à être dominants. Le dialogue du haut illustre également le mépris et le manque de respect quotidiens envers les femmes que véhicule la suprématie masculine.

Ces personnes gagnent littéralement de l’argent en profitant de l’insécurité et de l’inexpérience des jeunes hommes. Ils vendent des abonnements, des cours et des produits. Roosh V a vendu des livres et des ateliers. Andrew Tate est encore plus agressif lorsqu’il s'agit d’exploiter ses adeptes à des fins lucratives. Il a créé un site de mentorat pour collecter des frais d’abonnement élevés. Ce site fonctionne comme un système pyramidal, récompensant les membres qui en recrutent d’autres13.

La façon d’aborder la vie des « frères arnaqueurs » transforme les autres hommes en adversaires et les femmes en objets. Les influenceurs découragent les hommes de nouer des liens sociaux significatifs et de développer une vie émotionnelle saine. Au lieu de cela, ils promeuvent un mythe machiste de silence et d’agressivité. Cela peut aggraver les problèmes personnels qui attirent les hommes vers la manosphère.

La manosphère prétend fournir aux hommes des outils pour réussir professionnellement et sexuellement. Mais les idées qu’elle propose sont dommageables à la fois pour les hommes et pour les femmes qu’elle traite comme des cibles à conquérir et à abuser.

Les incels misogynes

La culture des incels s’est développée en réaction à la communauté des artistes de la drague. L’un des premiers forums incel les plus importants (fermé depuis) était PUAhate.com. Les PUA pensent que l’apprentissage de techniques spéciales permet de multiplier les conquêtes sexuelles. En revanche, les incels se considèrent comme condamnés à la solitude et à la misère. C’est ce qui a rendu la culture incel particulièrement haineuse.

Le mot « incel » est une contraction de « involuntary celibate » (célibataire involontaire). Les incels sont presque exclusivement des hommes hétérosexuels qui n’ont pas réussi à établir des relations avec des femmes. Nombre d’entre eux découvrent les forums et les sites Web incel alors qu’ils cherchent un soutien pour leurs sentiments de tristesse et d’aliénation. De là, ils sont entraînés dans un monde de désespoir et de colère.

La culture incel est violemment antiféministe et misogyne. Les incels décrivent souvent les femmes comme des objets de désir sous‐humains qu’ils détestent et à qui ils en veulent parce que, selon eux, le féminisme a donné aux femmes le pouvoir sur le sexe et la vie romantique.

Un grand texte dessiné à la main indique en anglais « Tout ce que j’ai appris sur les incels’ au-dessus de quatre petits dessins : un homme vêtu de noir, une tête d’homme musclé de profil avec des cheveux blonds spectaculaires, une bouche ouverte avec des pilules rouges et bleues sur la langue, et une tête de grenouille verte avec une bouche ouverte et une longue langue qui sort.

L’artiste britannique Lily O’Farrell a réalisé ces dessins Instagram perspicaces sur la culture incel. Elle fait un excellent travail en indiquant les dommages et les risques dans le milieu incel, les mèmes communs ayant des significations incel, et l’importance de l’empathie dans la résistance à la misogynie. (Disponible en anglais uniquement.)

Illustration : Lily O’Farrell

Beaucoup d’incels s’identifient comme « black‐pilled » (ayant avalé la « pilule noire »), une intensification de la métaphore de la « pilule rouge ». Ils pensent que l’attirance sexuelle et romantique est purement physique et déterminée par la génétique. Ils se considèrent comme condamnés à une solitude permanente en raison de leur apparence physique. Cette perspective les conduit à se sentir désespérés, inférieurs et victimes. Ils l’expriment souvent par des propos abusifs et misogynes et par de violents fantasmes de vengeance en ligne14.

Certains incels se tournent vers leur communauté pour se soutenir mutuellement, mais beaucoup d’entre eux sont très cruels les uns envers les autres. Les commentaires sur les forums incel comprennent souvent des attaques personnelles et des insultes. Les membres s’encouragent régulièrement à se suicider. De nombreux messages et commentaires expriment un désir de vengeance à l’égard des femmes et de la société, sous la forme de viols et de meurtres généralisés.

Une petite minorité d’incels a mis en pratique ces idées violentes. Des incels auto‐identifiés ont tué plus de 50 personnes au Canada et aux États‐Unis depuis 201415. Il y a eu au moins quatre incidents de meurtres par des incels au Canada. Le plus meurtrier a été l’« attaque à la fourgonnette » de 2018 à Toronto, qui a tué huit femmes et deux hommes. Beaucoup de ces meurtriers réclament explicitement un soulèvement violent des incels. Ils s’inspirent également d’anciens meurtriers de masse incels. Les auteurs de ces meurtres sont régulièrement loués sur les forums incel et considérés comme des « saints » à imiter.

Des affiches faites à la main et couvertes de messages manuscrits sont attachées à un muret de pierre. Une personne aux cheveux blancs et portant des vêtements de sport est accroupie et écrit sur une affiche.

La communauté a immédiatement créé un site pour pleurer les victimes de l’attaque à la fourgonnette de Toronto en 2018. Il s’agit de l’attaque de véhicule la plus meurtrière de l’histoire du Canada. L’auteur de l’attentat a posté un message sur Facebook qui annonçait « La rébellion incel a déjà commencé! »

Photo : CP, Lars Hagberg

Recrutement et radicalisation

Peu d’hommes décident de devenir des misogynes haineux. Ils découvrent souvent des groupes de la manosphère en ligne parce qu’ils recherchent de l’aide et une communauté. Mais les algorithmes qui déterminent ce que nous voyons sur les plateformes de médias sociaux peuvent présenter aux utilisateurs des contenus de plus en plus radicaux. Les hommes qui cherchent simplement du soutien peuvent se retrouver face à des idées de plus en plus extrêmes.

Il suffit de peu pour qu’une personne en quête de réponses ou d’un sentiment d’appartenance se laisse entraîner. Les hommes sont poussés vers des groupes marginaux lorsqu’ils se sentent rejetés et exclus par leurs pairs et par la société en général. Le fait d’être accueilli et validé par la manosphère est un puissant facteur d’attraction qui peut mettre les hommes sur la voie de la radicalisation.

Un homme blanc, barbu et chauve grimace de colère, le visage à moitié caché par l’ombre.

Les idéaux masculins traditionnels interdisent aux hommes d’admettre qu’ils se sentent tristes, vulnérables ou confus. Les influenceurs de la manosphère et les figures médiatiques incitent les hommes à se sentir en colère et à réprimer leurs autres émotions.

Photo : Unsplash, engin akyurt

La manosphère recrute aussi activement des jeunes hommes vulnérables. Les termes « red pilling » et « black pilling » (avaler une pilule rouge ou noire) décrivent la pratique consistant à initier les nouveaux venus aux idées extrémistes. Les suprémacistes masculins préparent et recrutent de nouveaux adeptes en ligne, notamment sur les forums de musculation et les retransmissions en direct de jeux vidéo.

Les influenceurs de la manosphère offrent un soutien pseudo‐scientifique et mythique impressionnant à leurs croyances. Ils peuvent être convaincants et charismatiques. Leurs messages conspirationnistes tentent de transformer les sentiments de tristesse et de confusion en colère et en agressivité. Leur logique et leurs solutions sont construites sur le déni des droits et de l’humanité des femmes, des personnes trans et des personnes non binaires. Cela peut conduire les hommes à commettre des actes de harcèlement, d’abus et de violence.

Ceux qui renforcent le plus puissamment les stéréotypes de genre rigides et patriarcaux étouffent ceux qui ont le plus besoin d’y échapper.

Laura Bates, Men Who Hate Women

S’échapper de la manosphère

Les gens quittent ces communautés, mais souvent avec difficulté. En avril 2023, un modérateur de longue date d’un forum incel a annoncé qu’il démissionnait parce qu’il avait une copine. La réaction du groupe – ses supposés pairs – a été furieuse16.

Au moins deux forums Reddit – r/IncelExit et r/ExRedPill – soutiennent les hommes qui quittent la manosphère. D’anciens membres offrent leur soutien et des conversations aux hommes qui remettent en question leur vision misogyne du monde17. Des animateurs qui diffusent sur Twitch et YouTube et qui remettent en question les mythes et les croyances de la « pilule rouge » offrent également à certains hommes une voie de sortie de la radicalisation18. Quand il s’agit de parler d’identité et de misogynie, la personne qui transmet le message a son importance. Les anciens misogynes et les autres hommes peuvent et doivent jouer un rôle important dans les conversations sur la masculinité, l’égalité et le bien‐être.

Les spécialistes en recherche préconisent diverses améliorations réglementaires et techniques afin de réduire la portée et la nocivité des contenus radicaux et haineux sur Internet. Il a été démontré que le simple fait d’interdire les utilisateurs qui tiennent des propos haineux – la déplateformisation – réduisait leur portée. YouTube a ajusté ses algorithmes en 2019 pour réduire la radicalisation, avec un succès mitigé19. Et toutes les plateformes sociales devraient proposer des politiques de contenu respectueuses des droits de la personne, soutenues par des outils de signalement et de blocage robustes.

Un groupe de jeunes gens dans une salle de classe, vus de dos. Ils ont des couleurs de peau, des coiffures et des vêtements variés.

Des conversations compatissantes et honnêtes sur le genre, la sexualité et les relations peuvent aider les jeunes hommes et les garçons à surmonter les défis et les mythes de la masculinité.

Photo : Unsplash, Sam Balye

Les interventions préventives comprennent des programmes scolaires portant sur les identités de genre et les relations saines. Ces programmes permettent aux garçons et aux jeunes hommes d’explorer et d’exprimer leurs sentiments et leurs expériences quant au type d’homme qu’ils souhaitent devenir en grandissant. Ils peuvent se pencher sur les questions, les hypothèses et les mythes concernant la masculinité et le genre.

Agir contre la suprématie masculine, c’est aussi résister aux actes quotidiens de misogynie. Une grande partie de la suprématie masculine est différente en intensité, mais pas en nature, du sexisme quotidien au Canada. Bon nombre d’influenceurs et d’experts populaires ressemblent beaucoup aux communautés PUA et incel lorsqu’ils parlent d’une hiérarchie des sexes strictement définie et basée sur la domination masculine. Remettre en question les préjugés sexistes nous aide à reconnaître et à accueillir une plus grande variété d’identités sexuelles et de genre. Cela inclut les nombreuses et diverses façons d’être un homme.

La masculinité traditionnelle peut être un parcours du combattant, un effort pour se conformer à des normes fixées par d’autres qui vous laissent un sentiment de vide et sans amis.

Michael Kimmel, Angry White Men

Se libérer de la misogynie

Le message de la suprématie masculine va de l’objectivation déshumanisante aux propos haineux visant à réprimer et à attaquer les femmes, les personnes transgenres et les personnes non binaires. Certains hommes qui croient en ces messages commettent des crimes allant jusqu’au meurtre de masse. Même lorsque les choses ne vont pas aussi loin, la fausse croyance selon laquelle les hommes sont intrinsèquement supérieurs et dominants conduit au harcèlement et à la violence au quotidien. Les actions et les idées de la manosphère contraignent et menacent la vie des femmes20.

Les idées suprémacistes masculines nuisent également aux hommes qui y croient. Les hommes d’aujourd'hui souffrent de plus en plus de maladies mentales, notamment de dépression et d’anxiété. De nombreux jeunes hommes souffrent d’insécurité et de solitude, mais ne savent pas comment demander de l’aide ou surmonter leurs difficultés. Les valeurs masculines rigides défendues par la manosphère exigent qu’ils restent indépendants et stoïques à tout prix. Ils se retrouvent donc isolés et souffrent en silence21.

Dessin d’un bâtiment avec deux portes. La porte de gauche est étiquetée « Faire le dur travail d’apprendre à ressentir et à gérer ses émotions » et personne n'y entre. L’autre porte est étiquetée « Solutions rapides » et une grande foule de personnes fait la queue pour entrer. Au-dessus de la foule, on peut lire « Jeunes hommes en difficulté. »

De nombreux mèmes ont été créés pour s’opposer à la manosphère. Certains offrent un aperçu rapide exprimant une idée sérieuse. Les influenceurs de la manosphère promettent des réponses faciles qui ne s’attaquent pas aux causes profondes des problèmes de santé mentale et émotionnelle de nombreux hommes.

Il existe des alternatives à la vision sombre et néfaste de la manosphère, qui considère la vie humaine comme une compétition permanente. Le défi féministe à la subordination des femmes est aussi une source de possibilités pour les hommes. Nous, les hommes, pouvons trouver une liberté, une communauté et une identité en échappant aux stéréotypes de genre et aux traditions qui nous limitent. Les hommes n’ont pas besoin de déshumaniser et de contrôler les autres pour trouver leur autonomie et un sens à leur vie.

Ressources

Divers programmes existent au Canada pour offrir aux garçons et aux hommes des outils leur permettant de développer un sens de soi sain et une bonne relation avec les identités de genre. Les parents et les enseignant·e·s peuvent également trouver des rapports utiles et des guides pratiques pour parler du genre et de la misogynie.

Questions de réflexion :

  • À quelle fréquence est‐ce que je fréquente des personnes ayant différentes identités de genre et de sexualité?

  • Qui sont mes modèles en matière d’identité de genre?

  • Où et comment ai‐je appris ce que sont le genre et la sexualité?


Références

  1. Un exemple parmi tant d’autres, où un expert aborde les simplifications et les erreurs dans les affirmations générales d’un influenceur au sujet de la biologie et de la société : Leonor Gonçalves, « Le psychologue Jordan Peterson affirme que les homards aident à expliquer pourquoi les hiérarchies humaines existent – est‐ce le cas? », The Conversation, 24 janvier 2018. https://theconversation.com/psychologist-jordan-peterson-says-lobsters-help-to-explain-why-human-hierarchies-exist-do-they-90489
  2. Southern Poverty Law Center, « Male Supremacy », https://www.splcenter.org/fighting-hate/extremist-files/ideology/male-supremacy
  3. Tanya Basu, « The ‘manosphere’ is getting more toxic as angry men join the incels », MIT Technology Review, 20 février 2020. https://www.technologyreview.com/2020/02/07/349052/the-manosphere-is-getting-more-toxic-as-angry-men-join-the-incels/; Horta Ribeiro, M et al, « The Evolution of the Manosphere across the Web », Proceedings of the International AAAI Conference on Web and Social Media, 15.1, 196–207. https://doi.org/10.1609/icwsm.v15i1.18053
  1. Service canadien du renseignement de sécurité, Rapport public du SCRS 2020, avril 2021. https://www.canada.ca/fr/service-renseignement-securite/organisation/publications/rapport-public-2020.html
  2. Cédric Lizote, « Un mineur, accusé de meurtre et de terrorisme, serait un incel », Radio‐Canada, 19 mai 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1704307/mineur-accuse-meurtre-terrorisme-incel
  3. Nations Unies, Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-elimination-all-forms-discrimination-against-women
  4. Michael Kimmel, Angry White Men : American Masculinity at the End of an Era, New York, Nation Books, 2013.
  5. [Avertissement sur le contenu : agression sexuelle, langage déshumanisant, sexuellement explicite.] David Futrelle, « Are Roosh V’s ‘Bang’ books how‐to guides for rape? », We Hunted the Mammoth, 15 août 2015. https://www.wehuntedthemammoth.com/2015/08/14/are-roosh-vs-bang-books-how-to-guides-for-date-rape/
  6. ICI Radio‐Canada, « Protestation contre la venue à Montréal d’un blogueur qui banalise le viol », 4 août 2015. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/732485/roosh-v-blogueur-controverse-viol-misogyne-montreal
  7. Patrick Lagacé, « Andrew Tate, décrypté », La Presse, 21 juin 2023. https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2023–06-21/andrew-tate-de…
  8. Dodgson, Lindsay, « Andrew Tate’s biggest legal challenge will be his own statements on rape and exploitation, lawyer says. There are a lot », Insider, 13 janvier 2023. https://www.insider.com/andrew-tate-how-own-statements-now-huge-legal-problem-2023–1
  9. E.J. Dickson, « Leaked Texts Show Andrew Tate’s Alleged Trafficking Tactics », Rolling Stone, 25 juillet 2023. https://www.rollingstone.com/culture/culture-features/andrew-tate-coerced-women-sex-work-leaked-texts-1234794138/
  10. Caolán Magee, « I went inside Andrew Tate’s Hustler University – where ‘Gs’ celebrate making $11 », The Independent, 27 janvier 2023. https://www.independent.co.uk/news/world/europe/andrew-tate-news-hustler-university-prison-b2270271.html
  11. Megan Kelly, Alex DiBranco, Dr. Julia R. DeCook, Misogynist Incels and Male Supremacism, New America, 18 février 2021. https://www.newamerica.org/political-reform/reports/misogynist-incels-and-male-supremacism/; Marc‐André Sabourin, « Voyage au cœur de la manosphère », L’actualité, 9 octobre 2019. https://lactualite.com/societe/voyage-au-coeur-de-la-manosphere/ 
  12. Laura Bates, Men Who Hate Women : From Incels to Pickup Artists, Napierville, Ill., Sourcebooks, 2021.
  13. Miles Klee, « The ‘LeBron James of Incels’ Swears He Has a Girlfriend Now — He Just Can’t Prove It ». Rolling Stone, 27 avril 2023. https://www.rollingstone.com/culture/culture-features/incel-civil-war-girlfriend-komesarj-1234724278/
  14. Sophia Smith Galer, « Could these subreddits save incels? », VICE News, 22 mars 2023. https://www.vice.com/en/article/jg5xbg/could-these-subreddits-save-incels
  15. Juge Monir Mooghen, Up Next : The Manosphere, YouTube’s Anti‐Feminist Communities’ Power to Radicalise and How to Prevent It, thèse de maîtrise, Aalborg University, 2021; Zoran Bogdanovic, « How I Was Red‐Pilled and Survived It : Three men recount their journeys beyond the lure of radical politics », VICE News, 5 avril 2023. https://www.vice.com/en/article/5d3n4z/red-pill-radicalisation-men-who-overcame-it
  16. Kavin Roose, « The Making of a YouTube Radical », New York Times, 8 juin 2019. https://www.nytimes.com/interactive/2019/06/08/technology/youtube-radical.html; Tanya Basu, « YouTube’s algorithm seems to be funneling people to alt‐right videos », MIT Technology Review, 29 janvier 2020. https://www.technologyreview.com/2020/01/29/276000/a‑study-of-youtube-comments-shows-how-its-turning-people-onto-the-alt-right/
  17. Le lien entre les attitudes misogynes et la violence est bien connu depuis des décennies. Voir : Jacquelyn Campbell, « Misogyny and homicide of women », Advances in Nursing Science, vol. 3, no 2, 1981, p. 67–85. doi : 10,1097/00012272–198101000-00007. https://www.nlm.nih.gov/exhibition/confrontingviolence/materials/OB11560.pdf
  18. Brian Heilman, Gary Barker, Alexander Harrison, The Man Box : A Study on Being a Young Man in the US, UK, and Mexico, Washington, DC et Londres : Promundo‐US et Unilever. 2017. https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2017/03/TheManBox-Full-EN-Final-29.03.2017-POSTPRINT.v3-web.pdf

Citation suggérée

Citation suggérée : Steve McCullough. « Misogynie en ligne : la « manosphère » ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 12 septembre 2023. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/misogynie-en-ligne-la-manosphere