Des pionniers et pionnières des droits civiques au Canada

Lutter pour la justice au cinéma et au théâtre

Par Jason Permanand
Publié : le 4 février 2019

Photo en noir et blanc d’un public de cinéma. La photo est prise de l’avant du cinéma en regardant vers l’arrière, de sorte que les visages du public sont visibles. Des palmiers en pot bordent les murs de chaque côté. Visibilité masquée.

Détails de l'histoire

D’un bout à l’autre du pays, les Canadiens et les Canadiennes découvrent l'histoire de Viola Desmond, la femme d’affaires noire de la Nouvelle‐Écosse dont la photo figure sur le nouveau billet de 10 $ du Canada. En 1946, on lui demande de quitter la section réservée aux personnes blanches du cinéma Roseland, mais elle refuse de bouger. Elle est donc arrêtée et emprisonnée, mais sa position contre la ségrégation raciale a inspiré bon nombre de gens à poursuivre la lutte pour l'égalité.

Pour son courage et sa ténacité, nous nous souvenons d’elle comme d’une pionnière canadienne des droits civils. Mais saviez‐vous que Viola Desmond n’est pas la première personne noire à avoir lutté contre la ségrégation dans les salles de cinéma et de théâtre au Canada?

Bien que le Canada n’ait pas d’antécédents en matière de lois officielles imposant la ségrégation des personnes de race noire et blanche, les personnes noires ont dû pendant des années surmonter des politiques non écrites de ségrégation raciale dans des endroits comme les restaurants, les parcs, les piscines, les cinémas ou les théâtres locaux. Nous aimerions vous présenter trois autres pionniers et pionnières des droits civils qui ont combattu la ségrégation raciale dans les salles de cinéma et de théâtre au Canada depuis 1914. Commençons par une femme qui allait devenir une alliée solide de Viola Desmond, Carrie M. Best.

Carrie M. Best

Carrie M. Best grandit à New Glasgow, en Nouvelle‐Écosse, où elle et ses deux frères sont encouragés par leurs parents à étudier l’histoire afro‐canadienne et à être fiers de leur patrimoine. Carrie Best prend le message de ses parents à cœur.

En 1941, des étudiantes du secondaire sont expulsées du Roseland Theatre – le même cinéma où Viola Desmond allait être expulsée cinq ans plus tard. Leur inconduite? S’être assises dans la section réservée aux personnes blanches. Quand Carrie Best entend parler de l’incident, elle est outrée.

Elle écrit au propriétaire du Roseland Theatre pour dénoncer la politique raciste. Dans sa lettre, elle fait valoir que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes devraient avoir les mêmes droits, peu importe leur race. Elle précise également dans cette lettre qu’elle viendra au cinéma en personne pour acheter un billet et que, si on lui refuse ce billet, elle utilisera tous les moyens possibles pour faire connaître la politique raciste du cinéma.

Je vous prie respectueusement, Monsieur, d’ordonner à vos employés de me vendre le billet que je souhaite lors de ma prochaine visite au cinéma. Sinon, je m’engage à rendre public toutes les déclarations que vous et votre entourage m’aurez faites. 

Carrie M. Best

Quelques jours plus tard, Carrie Best et son fils Cal tentent d’acheter des billets à la section parterre du cinéma. Le caissier leur donne des billets au balcon, la section réservée aux personnes noires. Laissant les billets sur le comptoir, Carrie Best et son fils entrent dans la section parterre de la salle. Lorsque le directeur adjoint leur demande de partir, ils refusent. Un policier les expulse. Reconnus coupables, ils sont condamnés à une amende pour avoir troublé la paix. 

Une image en noir et blanc d’une femme noire assise devant une vieille machine à écrire, lisant un journal intitulé « The Clarion ».
Carrie M. Best, fondatrice et rédactrice en chef de The Clarion, le premier journal appartenant à des personnes noires en Nouvelle‐Écosse. 

Carrie Best intente une poursuite civile contre le cinéma. Malheureusement, comme ce fut le cas avec Viola Desmond, elle perd son procès. Mais, ce faisant, elle contribue à mettre en lumière l’injustice dans sa communauté. Et une fois l’affaire classée, elle poursuit son combat, qui est loin d’être terminé. Elle décide que la pratique raciste de la ségrégation peut être vaincue d’une autre manière.

En 1946, Carrie Best fonde The Clarion, le premier journal de la province qui est publié et qui appartient à des personnes noires. Elle utilise par la suite The Clarion pour faire connaître la lutte de Viola Desmond contre la ségrégation raciale, mettant souvent l’histoire de Viola à la une du journal.

En 1968, le journal The Pictou Advocate embauche Carrie Best pour rédiger une chronique hebdomadaire intitulée « Human Rights » (droits de la personne), qui est publiée pendant sept ans. Dans ses chroniques, Carrie Best écrit sur les droits des Autochtones, les conditions de vie dans les réserves et les droits civils fondamentaux pour tous et toutes.

Des décennies avant que Carrie Best et Viola Desmond ne prennent position, deux autres personnes canadiennes noires ont contesté la ségrégation dans des salles de théâtre. Leurs histoires ont récemment été redécouvertes grâce à une recherche menée par Bashir Mohamed, d’Edmonton, en Alberta.

Lulu Anderson

Lulu Anderson a défendu la justice raciale à Edmonton, en Alberta, en 1922. C’était une époque où la violence raciale était courante. Les théâtres de l’Alberta présentaient souvent des spectacles de ménestrels, présentés par des personnes blanches maquillées ou « blackface » qui ridiculisaient les personnes d’origine africaine. En 1920, un défilé de ménestrels a même eu lieu au centre‐ville d’Edmonton.

Le 12 mai 1922, Lulu Anderson tente d’acheter un billet pour The Lion and the Mouse au Metropolitan Theatre. Elle était déjà allée plusieurs fois au théâtre d’Edmonton avec des amis. Mais cette fois, on lui refuse l’entrée à cause de sa race.

Une mage en noir et blanc d’une foule devant l’entrée d’un théâtre du nom de « Metropolitan ». Tout le monde porte de longs manteaux à l’ancienne, et certains portent des chapeaux. Une voiture antique est garée dans la rue.

Le Metropolitan Theatre d’Edmonton, en Alberta, 1921.

Lulu Anderson décide de poursuivre le théâtre. L’affaire est portée devant les tribunaux, mais le juge se prononce contre elle, déclarant dans sa décision que « la direction pouvait refuser l’admission à quiconque, moyennant le remboursement du prix du billet ».

Malheureusement, nous savons très peu de choses sur Lulu Anderson ou sur sa vie après le procès. Nous savons qu’elle était un membre actif de la chorale de son église, mais il n’y a pas de photos connues d’elle. Les dossiers de son procès n’existent plus. En 1971, tous les dossiers jugés sans importance historique pour la période de 1921 à 1949 ont été détruits par le gouvernement. Mais bien sûr, son histoire est importante et fait d’elle l’une des pionnières des droits civils au Canada, luttant publiquement contre les politiques injustes de son théâtre local.

Charles Daniels

En 1914 – huit ans avant le cas de Lulu Anderson et l’année même de la naissance de Viola Desmond – Charles Daniels s’est vu refuser l’accès à un théâtre de Calgary en raison de sa race. Ce qui différencie son cas des autres, c’est qu’il a gagné son procès.

Charles Daniels travaillait pour le chemin de fer du Canadien Pacifique à titre de préposé de train, l’un des rares postes que les Canadiens noirs pouvaient obtenir à l’époque.

Il aimait le théâtre et, le 3 février 1914, il s’arrange pour acheter deux billets au parterre pour voir la pièce King Lear de Shakespeare avec un ami au Sherman Grand Theatre le même soir.

Une photo en noir et blanc de l’intérieur d’une salle de théâtre de style ancien, vide.

Le Sherman Grand Theatre, à Calgary, en Alberta, 1944.

Ce soir‐là, Charles Daniels se voit refuser l’entrée au parterre et on lui dit qu’il peut échanger son billet contre un billet au balcon dans la section réservée aux « gens de couleur », reflétant de près ce qui arrivera à Viola Desmond 32 ans plus tard, à l’autre bout du pays.

Charles Daniels refuse de s’asseoir au balcon et, peu de temps après, intente une poursuite civile contre le théâtre, faisant valoir que, puisqu’il était sobre et sage, il aurait dû avoir le droit de s’asseoir n’importe où dans la salle, peu importe sa croyance ou sa couleur. Il demande 1 000 $ en dommages‐intérêts, qui équivaut à environ 20 000 $ aujourd’hui. Il souligne l’embarras qu’il a subi ce soir‐là : « Parce qu’il y avait un certain nombre d’hommes du CP (chemin de fer du Canadien Pacifique) qui m’ont vu dans le foyer du théâtre à ce moment‐là, des chefs de train et leurs équipes. »

Ce geste de Charles Daniels est risqué et exceptionnel pour l’époque, soit des décennies avant l’apogée du mouvement pour les droits civils, et son histoire fait les manchettes partout en Alberta. Le Bassano News publie en gros titre « CALGARY 'N***’ KICKS UP FUSS – Wants to Attend Theatre With 'White Folks' But Management Says No » (UN N*** à CALGARY S’INSURGE – veut aller au théâtre avec des personnes blanches, mais la direction dit non).

Quand l’avocat de Daniels demande pourquoi une personne noire peut se voir refuser l’entrée au théâtre, William Sherman, le propriétaire, répond : « Aussi bien le dire. En ce qui concerne les gens de couleur, notre public s’objecte beaucoup. J’aime leur argent aussi bien que celui des autres, et ce n’est pas pour cela que je m’objecte, mais je reçois des plaintes du public. »

Les paroles de Sherman soulignent le fait que, bien qu’il n’y ait pas de lois qui imposent ouvertement la ségrégation, celle‐ci est toujours pratiquée, mais de façon plus secrète.

À ce qu’on sache, c’est la première fois qu’on offense quelqu’un, parce que nous essayons de les séparer sans rien dire... et sans leur dire que les personnes blanches ne veulent pas d’eux au parterre. 

William Sherman, propriétaire, Sherman Grand Theatre.

Le jour de l’audience, aucun représentant du théâtre ne se présente au tribunal. Charles Daniels gagne son procès par défaut, et les journaux de l’Alberta en parlent beaucoup. Il y a des répercussions au théâtre aussi, puisque Sherman est remplacé quelques mois plus tard.

Tout comme Lulu Anderson, la vie ultérieure de Charles Daniels est surtout un mystère. On ne dispose d’aucune photo de lui. Mais son histoire nous rappelle que les personnes noires du Canada défendent l’égalité et les droits civils au Canada depuis très longtemps.

Préserver l’histoire

L'histoire de Viola Desmond fait partie de l’histoire du Canada que beaucoup de Canadiens et de Canadiennes ne connaissaient pas jusqu’à très récemment. Nous connaissons son nom aujourd’hui grâce à des personnes dévouées qui se sont rendu compte qu’il fallait se souvenir de son histoire et la partager. Bien que de nombreuses années se soient écoulées, les gens n’ont pas oublié son courage. Après la mort de Viola Desmond, la lieutenante‐gouverneure de la Nouvelle‐Écosse, Mayann Francis, l’a graciée, retirant ainsi sa condamnation des dossiers historiques. Maintenant que sa photo figure sur le billet de 10 $, nous gardons son histoire dans notre poche, afin que tous et toutes sachent comment elle a résisté à la ségrégation.

Tout au long de notre histoire, un grand nombre de personnes noires du Canada ont lutté contre la ségrégation et la discrimination. Ces personnes ont joué un rôle important dans l’édification de notre pays et, par leurs actions, elles en ont inspiré d’autres à prendre des mesures contre l’injustice. C’est pourquoi ces histoires – comme celles de Viola Desmond, Carrie M. Best, Lulu Anderson et Charles Daniels – doivent être préservées et enseignées et inspirer des gestes concrets alors que nous continuons à travailler pour l’égalité et la justice pour tous.

Questions de réflexion :

  • Où suis‐je témoin d’injustice?

  • Comment puis‐je prendre position en faveur des droits de la personne? 

  • Qui dans ma collectivité se porte à la défense des droits de la personne?

Citation suggérée

Citation suggérée : Jason Permanand. « Des pionniers et pionnières des droits civiques au Canada ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 4 février 2019. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/des-pionniers-et-pionnieres-des-droits-civiques-au-canada

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