La militante rohingya Yasmin Ullah a une mission claire et profondément personnelle. Elle s’exprime au nom des femmes et des enfants rohingyas qui ont fui les atrocités de masse commises au Myanmar (l’ancienne Birmanie) pour se rendre dans des camps de réfugiés du Bangladesh.
Yasmin comprend ce que signifie être une personne réfugiée apatride. Ses propres parents ont fui le Myanmar en 1995 alors qu’elle n’avait que trois ans. Maintenant établie à Surrey, en Colombie‐Britannique, Yasmin a rêvé du jour où elle pourrait retourner voir les membres de sa famille élargie. Mais son rêve s’estompe par son souci constant d’assurer leur sécurité face aux attaques militaires.
Il est temps de se faire entendre
Depuis 2017, près d’un million de personnes rohingyas ont été forcées de quitter leur foyer dans l’État de Rakhine, une région du Myanmar, tandis que les militaires de l’État se livrent à un génocide qui dévaste leurs familles et communautés. Sans maris, sans pères, sans frères et sans fils, les femmes et les enfants rohingyas constituent la majorité de la population dans les camps de réfugiés appauvris. Les camps manquent de soins de santé de base, d’éducation et de services hygiéniques. La nourriture, l’eau et les abris sont rares.
Face à ces dures réalités, les femmes réfugiées dans les camps font entendre leur voix, tandis que d’autres comme Yasmin prennent la parole de l’extérieur, bien résolues à gagner l’attention du monde. Leur message est direct et puissant : elles veulent que justice soit faite pour la persécution et le meurtre de leurs familles, qu’elles puissent retourner en toute sécurité dans leur patrie et qu’elles aient le droit de vivre en paix en tant que citoyennes et citoyens comme par le passé.
La violence contre le peuple rohingya remonte à l’époque où les tensions ethniques ont éclaté sous le règne de l’Inde britannique sur la Birmanie (plus tard le Myanmar), de 1824 à 1948. Les politiques coloniales divisionnistes ont enflammé les relations entre la majorité bouddhiste et les Rohingyas musulmans, relations qui ont empiré au fil du temps. En 1982, le gouvernement militaire de Birmanie a complètement dépouillé les Rohingyas de leur citoyenneté, les laissant apatrides dans leur propre patrie. L’impact sur les femmes rohingyas a été grave. Sans pièce d’identité pour montrer qui elles étaient, elles ont commencé à se retirer dans leurs maisons.
Dans les années qui ont suivi, les militaires ont perpétré une série d’attaques massives contre des villages rohingyas. La menace évidente que représentaient ces attaques a forcé les femmes rohingyas à se retirer de la vue, craignant d’aller n’importe où.
La violence a dégénéré en une répression génocidaire en août 2017, avec des agressions ciblées contre les hommes rohingyas. « Ils commencent par tuer les hommes, les kidnapper, les incarcérer, afin de leur enlever le pouvoir de se protéger », dit Yasmin. Souvent forcées d’assister aux meurtres des hommes et des garçons, les femmes rohingyas sont également victimes de violences sexuelles systémiques pour les inciter à essayer de fuir.
Selon Yasmin, les femmes craignaient le plus pour leurs enfants : « Certaines femmes parcouraient les villages à la recherche de leurs enfants, pour voir si leurs enfants étaient encore en vie… Il y a beaucoup d’histoires de femmes qui ont trouvé des enfants et qui se sont occupées d’eux, même s’ils n’étaient pas les leurs. »
Fuir la terreur
Les femmes sont parties en grand nombre, portant leurs enfants, s’accrochant aux biens de leurs proches disparus, luttant pieds nus dans la jungle et dans les rizières gorgées d’eau. Les femmes rohingyas ont dû trouver la force de mener les enfants qui leur restaient et les personnes âgées vers la sécurité relative des camps de réfugiés de Cox’s Bazar, au Bangladesh voisin. Sur leur route, elles ont été poursuivies par des soldats lors d’embuscades militaires, qui visaient à éradiquer davantage de Rohingyas, alors même qu’elles fuyaient leur patrie.
La terreur provoquée par le génocide s’est rapidement propagée aux Rohingyas déplacés vivant en exil dans le monde entier, y compris au Canada. Yasmin se souvient du moment où la répression militaire a commencé, le 26 août 2017. Elle a reçu un appel de sa mère qui lui a dit : « Notre village, nos familles sont maintenant encerclés. »
Yasmin et sa mère ont immédiatement lancé une campagne officieuse de collecte de fonds pour envoyer un soutien désespérément nécessaire aux familles comme la leur, piégées par la purge violente du Rohingya dans l’État de Rakhine. Certains ont utilisé les fonds pour fuir vers les camps de réfugiés au Bangladesh. D’autres membres de la famille, comme la grand‐mère de Yasmin, ont décidé de rester dans leur village d’origine. Après s’être cachée dans un autre village pendant une semaine, elle était déterminée à rentrer chez elle. Bon nombre des Rohingyas qui sont restés dans les villages sont des femmes et des enfants. Ceux qui ont reçu du soutien grâce aux efforts de collecte de fonds de Yasmin ont été plus que reconnaissants.
Quand les femmes et les enfants rohingyas ont atteint la frontière du Bangladesh dans les premières semaines qui ont suivi la répression, une surprise fâcheuse les attendait. La patrouille frontalière bangladaise les a refoulés et les a forcés à camper en plein air le long de la frontière. Quelques semaines plus tard, des terres ont été mises de côté par le gouvernement du Bangladesh et un nouveau chapitre a commencé : la vie dans les camps de réfugiés situés autour de Cox’s Bazar, une ville côtière de la baie du Bengale.
Après l’ouverture des camps, les questions de sécurité et de restriction des déplacements ont continué de marquer l’existence des femmes rohingyas. Aujourd’hui, les trafiquants de personnes errent souvent dans le camp, à la recherche de cibles vulnérables. Marcher jusqu’aux latrines peut être dangereux et le manque d’intimité est une violation de la modestie traditionnelle des femmes et des filles rohingyas. L’extrême pauvreté les oblige à vivre dans des abris en plastique construits avec des poteaux de bambou. Il y a un manque chronique de nourriture et d’eau potable.
Les femmes prennent les choses en main
Plus de la moitié des familles dans les camps sont dirigées par des femmes qui ont perdu leur mari ou leur père à cause du génocide. La lutte pour la survie est primordiale, mais beaucoup ont trouvé la force d’assumer la responsabilité de leur famille et de leur communauté dans les camps. Les femmes prennent maintenant la parole lors des réunions locales, contribuant ainsi au dialogue sur la voie à suivre pour leur peuple. Elles sont élues leaders des communautés de leur quartier dans les camps. Elles discutent des besoins des réfugiés avec les autorités et les organismes d’aide du Bangladesh. Elles réclament des écoles et du personnel enseignant pour que leurs enfants puissent acquérir les compétences dont ils ont désespérément besoin.
Le pouvoir des voix rassemblées des femmes rohingyas a également débouché à un groupe appelé Shanti Mohila, qui signifie « femmes de paix ». Le groupe compte environ 400 survivantes habitant dans les camps qui se sont réunies en 2017 pour s’autonomiser elles‐mêmes et entre elles. Elles envoient maintenant un message unifié à la communauté internationale, demandant justice pour les violations massives dont elles et toutes les personnes rohingyas ont été victimes.
Appel à la justice
En mai 2018, les femmes de Shanti Mohila se sont adressées à la Cour pénale internationale pour demander une enquête sur le génocide et la persécution de leur peuple. Leur soumission comprend des témoignages de femmes et 400 signatures qui soulignent une déclaration : « Nous sommes Shanti Mohila de l’État de Rakhine. Nous sommes les leaders de notre communauté. Nous sommes de l’identité Rohingya, et nous voulons la justice. »
Les actions de Yasmin Ullah sont d’autant plus urgentes que le stress incessant de la vie dans les camps persiste. Elle saisit toutes les occasions de parler du génocide et de la crise humanitaire à laquelle le peuple rohingya est confronté – en passant le mot à ses amis et collègues, en prenant la parole lors de conférences et en partageant son histoire avec les médias. Comme défenseure des droits de son peuple, elle s’est présentée devant la Chambre des communes et le Sénat du Canada, et a pris la parole à des activités de collecte de fonds organisées par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Il est impossible de prédire ce qui attend les Rohingyas. Mais au milieu de la misère et de la perte, les femmes rohingyas s’accrochent à l’espoir. Elles espèrent que le monde interviendra face à la perte de leur patrie. Elles espèrent que justice sera rendue à ceux et celles qui ont perpétré le génocide de leur peuple. Et elles espèrent que, en ayant accès à l’éducation et à un endroit convenable pour se sentir chez eux, leurs enfants pourront un jour prospérer au lieu de simplement survivre une autre journée dans les camps.
Questions de réflexion
Comment puis‐je attirer davantage l’attention sur la crise des Rohingyas?
Que puis‐je faire pour aider les femmes et les filles en situation de vulnérabilité?
Comment puis‐je motiver d’autres personnes à intervenir en faveur des droits de la personne?
Auteure
Paula Kelly a travaillé au Musée en tant que conceptrice d’exposition et rédactrice-réviseuse en interprétation.
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Les Rohingyas
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Citation suggérée :
Paula Kelly. « Les femmes rohingyas réclament la justice ».
Musée canadien pour les droits de la personne.
Publié
le 11 juin 2019. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/les-femmes-rohingyas-reclament-la-justice