Aborder les histoires des peuples autochtones

Par Karine Duhamel
Publié : le 14 décembre 2016

Un plan rapproché d'une boîte sculptée, où on voit le visage une personne contre un fond blanc. Visibilité masquée.

Photo : MCDP, Aaron Cohen

Détails de l'histoire

Le présent blogue met l’accent sur la création et le développement du contenu qui explore les histoires au sujet de personnes autochtones dans notre pays. Pour raconter ces histoires liées aux droits de la personne, le Musée a fait participer des communautés et des personnes dans un processus visant à exposer la vérité.

Dans mon dernier blogue, j’ai présenté ce que j’appelle les « rouages de la réconciliation » – la façon dont le Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP) s’efforce d’organiser des prestations publiques et des programmes qui visent à faire connaître des vérités difficiles sur le traitement des peuples autochtones au Canada.

Dès le début des travaux de recherche au MCDP, le cadre de travail pour le développement de contenu autochtone au Musée en était un de décolonisation. Qu’est-ce que cela signifie? Essentiellement, les chercheurs‐conservateurs et chercheures‐conservatrices se sont inspirés d’un important rapport publié par un groupe de travail en 1992 [1]. Dans ce rapport, l’Assemblée des Premières Nations et l’Association des musées canadiens formulaient une série de recommandations axées sur la représentation et la participation autochtones dans les musées. Le groupe de travail recommandait une participation accrue des peuples autochtones dans les discussions au sujet des musées et dans les musées mêmes; le rapatriement ou la restitution d’objets sacrés ou culturels, ou d’autres objets importants, volés ou pris des communautés des Premières Nations; un meilleur accès aux espaces muséaux pour les personnes autochtones; un pouvoir accru accordé aux personnes autochtones et la possibilité pour elles de s’exprimer en ce qui a trait à la représentation de leurs histoires dans le contexte d’un musée; et enfin, une meilleure formation pour les conservateurs et conservatrices de musées et du financement accordé aux musées pour réaliser ces objectifs.

Pour l’équipe de recherche, traduire ces principes en action comporte plusieurs aspects. Premièrement, la collaboration avec les peuples autochtones, en communauté ou à titre individuel, était une composante importante de notre approche. David Gordon Thomas, dont l’œuvre en cercle orne un mur de la salle Bonnie & John Buhler; Rebecca Belmore, dont l’œuvre « Trace » crée des liens entre le Musée et la terre; l’Association nationale des centres d’amitié, qui a collaboré avec nous et avec des jeunes et des artistes pour développer et produire les panneaux des esprits – ces personnes et ces groupes ont tous et toutes contribué au développement d’une vision. Les résultats de ces collaborations sont importants : des éléments d’exposition comme celui de la reconnaissance des terres ancestrales dans la salle Bonnie & John Buhler, par exemple, présente un texte choisi pour reconnaître que « la terre où se dresse ce musée est depuis toujours un lieu de grande importance pour les peuples autochtones ». Ce langage inclusif nous permet de reconnaître que la terre a été importante pour beaucoup de nations autochtones qui ont vécu, travaillé, fait des échanges et célébré des cérémonies sur cette terre. Le texte a été le résultat d’un processus d’engagement et constitue une partie importante du respect accordé aux personnes qui participé à ces collaborations.

Deuxièmement, le Musée s’est assuré qu’il y a du contenu autochtone dans chaque galerie. Il s’agit d’un choix délibéré, pour faire en sorte que le contenu autochtone – des histoires sur les violations coloniales par l’État et sur les luttes des nations autochtones pour défendre leurs droits – ne soit pas isolé dans une galerie ou un coin du Musée. Plutôt, nous présentons du contenu sur les droits des peuples autochtones dans toutes les galeries afin de le mettre en valeur. Par exemple, « The REDress Project » de Jaime Black, conçu par l’artiste elle‐même, attire l’attention sur la question actuelle des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées et est situé bien en vue dans la galerie Les parcours canadiens. L’alcôve sur l’histoire et l’avenir de la nation métisse, conçue par Sherry Farrell‐Racette, comprend de l’art par Christi Belcourt et a été réalisée grâce à un processus de collaboration et de conservation communautaires. Cette galerie met également en vedette des histoires sur les droits linguistiques, les réinstallations forcées, l’éducation aux Autochtones, les droits des femmes des Premières Nations, la santé et le bien‐être communautaires, ainsi que sur les vies et les environnements qui changent dans le Nord – histoires présentées aux côtés d’autres épisodes de l’histoire du Canada. Dans cette galerie et dans les autres, les histoires autochtones sont racontées au moyen d’éléments numérique interactifs, de films, d’objets, d’œuvres d’art et de musique. Le travail de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CRV) est examiné dans notre galerie Inspirer le changement et ailleurs, et est rehaussé de programmes scolaires sur les pensionnats et la réconciliation.

Troisièmement, on accorde de l’importance aux voix et aux visions du monde des peoples autochtones. Qu’il s’agisse de la visite guidée de l’Esprit Mikinak‐Keya, offerte en cadeau au Musée par un groupe d’aînés, ou de la galerie Perspectives autochtones, qui vise à faire comprendre au public les points de vue autochtones sur les droits, nous priorisons le besoin des gens de raconter leurs propres histoires, dans leurs propres mots. Ainsi, le MCDP fait participer des conteurs et des conteuses ainsi que des communautés pour représenter les connaissances et les expériences de la façon qu’ils veulent les partager et les présenter.

Enfin, et de manière cruciale pour favoriser les conversations sur la réparation et la réconciliation, le MCDP s’assure aussi que les violations des droits des peuples autochtones sont présenter comme une histoire commune de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes. Autrement dit, l’héritage des pensionnats, qui comprend la rafle des années soixante et les taux encore élevés d’appréhension des enfants, ne devrait pas être perçu comme un problème autochtone, ou comme une partie de l’histoire autochtone. Ces violations font partie de notre histoire commune et doivent être soulignées ou comprises par l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes, et non seulement par les personnes qui les ont vécues. Le Musée a peut‐être de la difficulté à communiquer adéquatement la profondeur ou l’ampleur de ce qui a été perdu, mais il est important que nos visiteurs et visiteuses puissent entrevoir que l’histoire de la colonisation et ses conséquences néfastes ont été des facteurs‐clés dans la création du Canada.

Les Canadiens et les Canadiennes doivent d’abord reconnaître ce fardeau historique et les violations qui se poursuivent de nos jours avant de pouvoir imaginer les mesures à prendre aujourd’hui, aux réparations à faire par rapport au passé et aux plans qui façonneront l’avenir.

Raconter ces histoires au Musée a donné lieu à une grande variété de réactions du public. Certaines personnes prennent conscience de l’ampleur de ces violations pour la première fois et sont profondément touchées par les entrevues, les photographies historiques et les documents qui se trouvent dans les expositions. D’autres sont préoccupées par le fait que le contenu autochtone est réparti dans toutes les galeries et estiment que ceci minimise le traumatisme de l’expérience complète du colonialisme. Comme chercheure‐conservatrice, j’entends toute ces réactions et je les accepte avec humilité.

Mais plus important encore, cette rétroaction me permet de réfléchir aux façons différentes de communiquer ces histoires à l’avenir. En accueillant la Couverture des témoins, par exemple, le Musée a pu raconter l’histoire des pensionnats indiens telle que perçu par le maître sculpteur Carey Newman, d’ascendance kwagiulth, salish et britannique. Pour ce projet, Carey Newman s’est inspiré de l’histoire de son père, qui a fréquenté un pensionnat. Il y avait, intégrées à la couverture, des contributions provenant de survivants et de survivantes des pensionnats ou de leurs familles, de centres d’amitié, et aussi d’églises et d’autres agences qui ont participé à l’administration de ce système. Les visiteurs et visiteuses devenaient témoins de ces vérités. L’exposition, commandée par la CRV, rendait véritablement honneur aux expériences vécues et a beaucoup touché les visiteurs et les visiteuses.

Le Musée est un lieu de dialogue, mais aussi un lieu où avoir des conversations franches et honnêtes sur les droits de la personne, ce qui peut mener à des actions importantes. Nous savons que nous devons faire mieux et qu’il reste des questions importantes qu’il faudra aborder avec honnêteté, humilité et acharnement. Nous sommes prêts, disposés et aptes à nous mettre au travail.

Rapport du Groupe de travail sur les musées et les Premières Nations. Un rapport parrainé conjointement par l’Assemblée des Premières Nations et l’Association des musées canadiens, 1992.

Citation suggérée

Citation suggérée : Karine Duhamel. « Aborder les histoires des peuples autochtones ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 14 décembre 2016. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/aborder-les-histoires-des-peuples-autochtones