La doctrine de la découverte

Une idée coloniale vieille de 500 ans qui influence encore le traitement des peuples autochtones par le Canada

Par Travis Tomchuk
Publié : le 2 novembre 2022 Modifié : le 11 mai 2023

Sur les marches d’une énorme cathédrale, deux personnes portant des tresses et des jupes en ruban lèvent le poing et tiennent une grande bannière en tissu sur laquelle on peut lire en anglais « ABOLIR LA DOCTRINE ». Visibilité masquée.

Photo : AP Photo, John Locher

Détails de l'histoire

La doctrine de la découverte est un concept juridique et religieux qui a été utilisé pendant des siècles pour justifier la conquête coloniale chrétienne. Elle soutenait l’idée que les peuples européens étaient supérieurs à tous les autres, de même que leur culture et leur religion.

La doctrine de la découverte a été énoncée dans une série de déclarations des papes au 15e siècle. Ces déclarations (connues sous le nom de « bulles papales ») conféraient aux empires chrétiens l’autorité religieuse nécessaire pour envahir et soumettre des terres, des populations et des nations souveraines non chrétiennes, imposer le christianisme à ces peuples et s’approprier leurs ressources. Ces bulles papales ont été rédigées à une époque où les empires européens se lançaient dans une expansion coloniale à grande échelle.

Manuscrit écrit en latin avec une première ligne de texte large et décoratif.

Cette version de 1455 de la bulle papale Romanus Pontifex a été publiée par le pape Nicolas V. Entre autres pouvoirs de colonisation, elle accorde au roi du Portugal Afonso V le droit « d’envahir, de rechercher, de capturer, de vaincre et de soumettre tous les Sarrasins et les païens1 ».

Archives nationale du Portugal Torre do Tombo, PT/TT/BUL/0007/29²

Pourquoi est-elle importante?

La doctrine de la découverte est toujours un concept juridique important au Canada aujourd’hui, même si elle a été écrite il y a des centaines d’années. Les puissances coloniales françaises et anglaises ont utilisé la doctrine de la découverte pour s’approprier des terres autochtones et imposer leurs croyances culturelles et religieuses aux peuples autochtones dans le territoire qui allait devenir le Canada. Une fois le Canada créé, la doctrine de la découverte a influencé l’imposition de lois nationales et coloniales aux peuples autochtones. En effet, elle nie la validité des systèmes de gouvernance et de souveraineté autochtones en place depuis longtemps.

La doctrine de la découverte et les droits de la personne

Dans le contexte canadien, la doctrine de la découverte a mené à la prise de possession de terres autochtones et au déplacement des peuples autochtones. À mesure que la colonisation s’étendait sur le territoire qui est devenu le Canada, de nombreux peuples autochtones ont conclu des traités pour définir comment ils allaient partager la terre avec les nouveaux arrivants. Influencé par les revendications absolues de pouvoir et d’autorité énoncées dans la doctrine, le droit canadien a interprété ces accords comme une renonciation au titre et au contrôle des terres, bien que ces concepts soient largement étrangers aux cultures autochtones.

Le gouvernement canadien a également revendiqué un titre et un contrôle sur des terres autochtones non cédées. C’est ce qu’a démontré l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada en 2014 dans l’affaire Nation Tsilhqot'in c. Colombie‐Britannique[3]. Cet arrêt a conclu que les Tsilhqot'in avaient effectivement démontré leur titre ancestral autochtone sur leurs terres. Cela signifie qu’ils ont un droit exclusif d’utiliser ou d’occuper le territoire pour le bénéfice collectif de la nation[4].

Cependant, le jugement indiquait également que la Couronne (soit le gouvernement provincial ou fédéral) pouvait ne pas respecter ce titre autochtone si elle pouvait justifier une telle action.

Le principe raciste de supériorité et de domination incarné par la doctrine de la découverte sous‐tend de nombreux aspects de l’histoire coloniale du Canada, notamment la Loi sur les Indiens, le système des réserves, la tragédie des pensionnats indiens et la rafle des années 1960.

Une foule de personnes debout à l’extérieur, certaines tenant des pancartes sur lesquelles on peut lire, en anglais : « Facta non Verba: Des actes, pas des paroles » et « Vous avez promis 30 millions $. Était-ce un mensonge? »

Des gens manifestant lors d’un événement papal à Iqaluit, au Nunavut. Tout au long de sa visite au Canada en 2022, des protestataires ont demandé au pape de dédommager les victimes et d’annuler la doctrine.

Photo : La Presse canadienne, Nathan Denette

Appels à l’annulation de la doctrine de la découverte

Lors de la visite du pape François au Canada en 2022 pour s’excuser du rôle de l’Église catholique dans les pensionnats canadiens, des Autochtones ont demandé au pape d’annuler la doctrine de la découverte. Kate Gunn, partenaire du cabinet d’avocats First Peoples Law, a déclaré que ce serait « une façon importante de commencer à reconnaître la façon dont la doctrine a été utilisée comme un outil pour justifier la dépossession des peuples autochtones de leurs terres pendant des siècles, et au‐delà comme un outil pour permettre le génocide culturel sous la forme de pensionnats[4] ».

Répudiation de la doctrine

En mars 2023, le Vatican a officiellement répudié la doctrine de la découverte. Dans une déclaration[5], le Vatican a admis que les bulles papales sur lesquelles la doctrine est fondée « n’ont pas reflété de manière adéquate l’égale dignité et les droits des peuples autochtones ». La déclaration nie que la doctrine de la découverte soit un enseignement de l’Église catholique et affirme que ces documents ont été « manipulés à des fins politiques » par les empires coloniaux pour justifier leur traitement des peuples autochtones. Le Vatican a également reconnu l’importance des voix autochtones pour aborder le concept de la doctrine de la découverte.

La déclaration du Vatican sur la doctrine de la découverte a été généralement accueillie comme un premier pas positif par certains groupes et individus représentant les Autochtones. Toutefois, d’autres ont souligné que la déclaration n’annulait pas les bulles papales Dum Diversas (1452), Romanus Pontifex (1455) et Inter Caetera (1493), sur lesquelles la doctrine est fondée.

Que signifie la déclaration du Vatican dans le contexte canadien? Tamara Baldhead Pearl, membre de la Première Nation One Arrow et professeure adjointe de droit à l’Université de l’Alberta, estime que la répudiation de la doctrine n’entraînera peut‐être pas de changements significatifs dans le droit canadien. Mais, selon elle, la répudiation aura surtout « un effet significatif sur ceux qui modifient le droit afin que nous nous distancions de la doctrine de la découverte et que nous utilisions les traités [et] la relation de nation à nation que nous avions, confirmée par la Proclamation royale de 1763, comme fondement de nos relations ici, au Canada[6]. »

Questions de réflexion :

  • Comment la révocation de la doctrine pourrait‐elle avoir un effet sur les relations du gouvernement avec les peuples autochtones?

  • Quelles vieilles idées coloniales et quels stéréotypes racistes continuent de nous influencer au Canada aujourd’hui?

  • Où et comment avez‐vous appris l’histoire de la colonisation au Canada?

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Une boîte en bois, sur laquelle est sculpté un visage dont la bouche est recouverte d’une main peinte en rouge.

Références

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  1. a bulle Romanus Pontifex (Nicolas V), 8 janvier 1455. https://caid.ca/Bull_Romanus_Pontifex_1455.pdf. Retour à la citation 1
  2. « Bulle papale “Romanus Pontifex”du pape Nicolas V, par laquelle il accorde au roi Dom Afonso V et au prince Henri le Navigateur, ainsi qu’à tous les rois du Portugal et à leurs successeurs, toutes les conquêtes de l’Afrique avec les îles des mers adjacentes, depuis le cap Bojador et No et toute la côte de Guinée, et qu’ils puissent y ordonner la construction d’églises dont le patronage leur restera acquis. » Bulas, mç. 7, no. 29 PT/TT/BUL/0007/29. Image gracieuseté d'ANTT. Retour à la citation 2
  3. Cour suprême du Canada, Nation Tsilhqot’in c. Colombie‐Britannique, Dossier no 34986, 26 juin 2014, https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/14246/index.do. Retour à la citation 3
  4. Brett Forester, « Doctrine of Discovery is a “legal fiction”, but revoking it won’t herald immediate changes, experts say », APTN, 29 juillet 2022, https://www.aptnnews.ca/national-news/doctrine-of-discovery-is-a-legal-…. Retour à la citation 4
  5. Le Saint‐Siège, « Note commune sur la “Doctrine de la découverte” du Dicastère pour la culture et l’éducation et du Dicastère pour le service du développement humain intégral », 30 mars 2023, https://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2023…. Retour à la citation 5
  6. D’après les informations de Paul Hantiuk et de l’émission Day 6, CBC, « Repenser le droit canadien après la répudiation de la “doctrine de la découverte” », Radio‐Canada, 9 avril 2023, https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1970303/justice-colonia…. Retour à la citation 6

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Citation suggérée

Citation suggérée : Travis Tomchuk. « La doctrine de la découverte ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 2 novembre 2022. Modifié : le 11 mai 2023. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/la-doctrine-de-la-decouverte

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