Africville a été pendant plus de 120 ans une communauté noire très unie dans le nord d’Halifax. La Ville a démoli Africville dans les années 1960, et les personnes qui y habitaient se battent depuis pour obtenir justice.
Si vous n’avez jamais entendu parler d’Africville, vous n’êtes pas la seule personne à ne pas savoir que cette petite communauté noire de la Nouvelle‐Écosse a été détruite – histoire qui n’est pas aussi connue qu’elle devrait l’être. Elle fait partie d’une histoire beaucoup plus large, celle des personnes noires arrivées en Nouvelle‐Écosse il y a des centaines d’années.
Une colonie noire en Nouvelle-Écosse
La présence de personnes noires en Nouvelle‐Écosse remonte à bien avant la fondation de la ville d’Halifax sur le territoire Mi’kmaq en 1749. Des documents attestent d’une population noire en Nouvelle‐Écosse dès le début des années 1600. De nombreux établissements coloniaux, dont Louisbourg, ont amené des personnes noires en esclavage sur la côte est, indirectement par le biais de la traite transatlantique des esclaves.
À la fin des années 1700 et au début des années 1800, après la révolution américaine et la guerre de 1812, d’importants groupes de personnes noires ont commencé à s’installer dans la province. Beaucoup d’entre elles étaient des personnes anciennement esclavagées à qui on avait promis la liberté et des terres en Nouvelle‐Écosse. À leur arrivée, cependant, elles ont côtoyé des gens blancs qui les jugeaient inférieures à eux.
En raison du racisme, les personnes noires ont été repoussées aux marges de la société et forcées de vivre sur les terres les plus inhospitalières. Malgré cela, elles ont persévéré et formé des communautés fortes et dynamiques. Africville était l’une de ces communautés.
La discrimination et la pauvreté étaient malheureusement sources de nombreuses difficultés pour les gens habitant Africville. La Ville d’Halifax refusait de leur fournir de nombreux services que les autres Haligonien·ne·s tenaient pour acquis, par exemple les égouts, l’accès à l’eau potable et la collecte des ordures ménagères. Les gens d’Africville, qui payaient des taxes et étaient fiers de leurs foyers, ont demandé à maintes reprises à la Ville de leur fournir ces services de base, mais sans aucun résultat. La Ville a aggravé la situation en construisant de nombreux aménagements indésirables à Africville et dans les environs, entre autres, un hôpital spécialisé dans les maladies infectieuses, une prison et un dépotoir.
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La destruction d’Africville
Au lieu d’offrir des services municipaux convenables à la communauté, la Ville d’Halifax a fini par décider de reloger les personnes habitant Africville. Elle a dit qu’elle voulait développer les industries et bâtir des infrastructures dans ce secteur. Mais elle a aussi utilisé le langage des droits de la personne pour justifier sa décision et soutenu que la réinstallation améliorerait le niveau de vie des gens.
En janvier 1964, le conseil municipal d’Halifax a voté l’autorisation de reloger les gens d’Africville. Cette décision a été prise sans consultation réelle de ces derniers. Moins de 20 p. 100 des gens avaient eu un contact quelconque avec le Comité consultatif des droits de la personne d’Halifax, le groupe chargé de consulter la communauté.
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La destruction d’Africville s’est étendue sur plusieurs années. Les gens qui pouvaient prouver que le terrain leur appartenait se sont vus offrir un montant égal à la valeur de leur maison. Ceux qui n’avaient pas de preuves – beaucoup n’avaient pas les titres de propriété même si leur famille vivait là depuis des générations – se sont fait offrir 500 $. Les personnes qui s’opposaient à la réinstallation risquaient l’expropriation par la Ville. Certains témoignages font également état d’extorsion et d’intimidation à l’encontre des gens pour les forcer à quitter le quartier.
La Ville a démoli les maisons dès qu’elles ont été évacuées. L’église baptiste unie de Seaview, considérée par beaucoup comme le cœur de la communauté, a été détruite au bulldozer au milieu de la nuit du 20 novembre 1967, un événement tristement célèbre.
À la fin, malgré la résistance, tout le monde a été relogé; la dernière maison encore debout à Africville a été détruite en janvier 1970.
Réinstallation forcée
Sunday Miller, ancienne directrice générale de l’Africville Heritage and Trust, décrit les difficultés qu’ont vécues de nombreuses personnes à cause de cette réinstallation. Elle se souvient d’un travailleur de la Ville qui avait fait déménager une vieille dame dans un camion à ordures. Le travailleur a raconté : « Je me souviens de cette dame parce qu’elle était assise entre le chauffeur et moi et elle a pleuré tout au long du trajet jusqu’à la ville parce qu’elle ne voulait pas partir, et ne savait pas pourquoi on voulait qu’elle parte. Ce qui m’a vraiment dérangé, c’est qu’elle ne savait même pas où elle allait. On aurait pu l’emmener n’importe où. »
Pire encore, la Ville d’Halifax a détruit les soutiens sociaux qui devaient venir en aide aux personnes d’Africville trois ans seulement après le début de la réinstallation. Beaucoup ont trouvé difficile de s’adapter à leur nouvelle vie.
Sunday Miller explique : « Quand les gens d’Africville vivaient ici, ils étaient autonomes. Ils n’avaient peut‐être pas beaucoup d’argent, mais ils ne vivaient pas d’aide sociale […] Ils tentaient de créer une communauté que le gouvernement ne voulait pas leur laisser. Lorsque le gouvernement les a obligés à quitter leurs terres et à devenir des pupilles de l’État, et c’est ce qui s’est produit pour ceux qui sont allés vivre dans des logements sociaux, il leur a pris leur dignité. »
Les personnes déplacées d’Africville ont aussi été victimes de racisme dans leurs nouveaux foyers. Dans un cas, un voisin blanc aurait, a‑t‐on dit, lancé une pétition pour s’opposer à l’acceptation d’une famille noire. Dans un autre cas, un homme qui avait quitté Africville pour aller habiter dans le quartier d’Hammond Plains a reçu une lettre dans laquelle on le menaçait d’incendier sa maison si lui et sa famille ne partaient pas. La lettre était signée « de la part des personnes blanches d’Hammond Plains ».
L’héritage d’Africville
Malgré ces difficultés, les personnes qui avaient habité à Africville se sont mobilisées et ont cherché à obtenir justice. En 1969, on a mis sur pied le comité Africville Action pour soutenir et défendre les personnes déplacées. Dans les années 1980, l’Africville Genealogy Society a été créée et elle a commencé à demander réparation pour toutes les souffrances causées par la disparition de la communauté.
En 2010, un règlement est intervenu et le maire d’Halifax a présenté des excuses publiques pour la destruction d’Africville. Une partie des paiements de compensation a servi à construire une réplique de l’église Seaview, qui abrite maintenant l’Africville Museum. Cependant, les personnes déplacées n’ont pas toutes accepté les excuses, et certaines continuent de demander d’être indemnisées pour les torts qu’elles ont subis.
Lindell Smith est conseiller municipal de la Ville d’Halifax et il représente le quartier no 8 dans lequel se trouve l’emplacement de l’ancienne communauté d’Africville. À titre de deuxième conseiller municipal noir jamais élu, il est heureux que la Ville ait fait des excuses et estime qu’il est très important que les gens d’Halifax, et toute la population canadienne, sachent ce qui s’est produit à Africville.
« Les agissements de la Ville contre la communauté sont la seule raison pour laquelle Africville n’est pas ici aujourd’hui. Une grande partie de la population canadienne ne connait pas l’histoire d'Africville. Certaines personnes savent qu’Africville était une communauté noire, mais ignorent les raisons pour lesquelles elle a cessé d’exister. Il est important, à mon avis, de se souvenir des choses terribles qui se sont passées, de la discrimination et du déplacement de la population. Il faut aussi se souvenir que les gens d’Africville étaient propriétaires et qu’ils avaient un sens communautaire et cela, il faut le célébrer. »
L’histoire d’Africville nous rappelle brutalement que le langage des droits de la personne peut parfois être utilisé à mauvais escient pour justifier des violations des droits. Elle montre que des communautés entières ainsi que des individus peuvent subir les conséquences du racisme. Et elle nous enseigne que nous devons toujours veiller à ce que toutes les voix de notre communauté soient entendues – en particulier celles qui sont trop souvent réduites au silence par la marginalisation et la discrimination.
Cet article a été rédigé en partie à l’aide de la recherche menée par Mallory Richard qui a travaillé au Musée comme chercheure et comme coordonnatrice de projet.
Questions de réflexion :
Quels grands événements passés ont un impact sur ma communauté encore aujourd’hui?
Comment puis‐je participer aux décisions qui concernent ma communauté?
Quelles sont les histoires oubliées dans l’histoire locale ou nationale?
Auteure
Matthew McRae a travaillé au Musée comme chercheur et comme spécialiste du contenu numérique.
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Citation suggérée :
Matthew McRae.
« L’histoire d’Africville ».
Musée canadien pour les droits de la personne.
Publié
le 23 février 2017. Modifié : le 6 avril 2023. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/lhistoire-dafricville