Saviez‐vous que dans un passé assez récent, on décourageait les personnes juives vivant au Canada de visiter certains lieux de vacances, ou d’acheter ou de louer des propriétés de vacances?
L’ombre de l’antisémitisme au Canada
Un lieu de vacances des années 1940 rejette les « indésirables »
Par Jeremy Maron
Publié : le 16 septembre 2019
Mots-clés :
Détails de l'histoire
Victoria Beach, sur les rives du lac Winnipeg, a été fondée en 1910 en tant que centre de villégiature exclusif. Il a été conçu comme un lieu de retraite tranquille qui conserverait le caractère naturel de son environnement plutôt que de devenir une destination de loisirs populaire. Contrairement à d’autres centres de villégiature sur le lac Winnipeg qui avaient été fondés par des compagnies de chemin de fer voulant faire augmenter le nombre de voyageurs, comme Winnipeg Beach et Grand Beach, Victoria Beach a empêché la construction d’établissements de divertissement comme des parcs de loisirs ou des salles de bal. Les voitures n’étaient pas (et ne sont toujours pas) autorisées dans la localité pendant les mois d’été. Toutes ces restrictions ont permis à la communauté balnéaire de conserver son caractère exclusif en tant que lieu de retraite populaire pour l’élite fortunée de Winnipeg.
La nature exclusive de Victoria Beach s’étendait au‐delà des catégories de classe ou de statut pour inclure des considérations ethniques et culturelles. En termes simples, les personnes juives n’étaient pas les bienvenues. Ces attitudes discriminatoires n’étaient pas cachées.
Exclusivité et exclusion
Le 14 août 1943, pendant la Seconde Guerre mondiale, le Victoria Beach Herald a publié un éditorial en première page sous le titre « Unwanted People » (Personnes indésirables). Le texte faisait appel à la nature exclusive de la communauté et préconisait l’exclusion de certains groupes jugés indésirables.
L’éditorial commençait par dire aux propriétaires de chalets : « Vous avez une obligation envers vos voisins à Victoria Beach. Rappelez‐vous, vous avez l’obligation de veiller à ce que ces personnes non désirées.… ne sont pas autorisées à acheter ou à louer ici. »
L’éditorial ne disait pas explicitement qui étaient les « indésirables », mais dans les années 1940 au Canada, l’intention aurait été claire. Dans son livre intitulé Seeking the Fabled City, l’auteur Allan Levine explique comment l’antisémitisme faisait partie du tissu culturel du Canada.
« Du début des années 1880 au début des années 1960, l’antisémitisme était enraciné dans le tissu social canadien, imposé et pratiqué ouvertement, habituellement sans hésitation, qualification ou honte. Magasiner dans un commerce appartenant à des Juifs ou utiliser les services d’un tailleur juif était tolérable pour la plupart des non‐Juifs canadiens. Mais il était inacceptable d’avoir des collègues de travail juifs, des voisins juifs ou, pire encore, des membres juifs dans des clubs sportifs et sociaux privés. C’était comme ça.”
Pour toute personne de la communauté qui aurait pu avoir des doutes sur l’identité des indésirables, l’article affirmait de façon désinvolte que « nous n’avons aucun moyen de leur fournir des aliments spéciaux et de la viande spéciale » en référence aux coutumes alimentaires juives.
Le Winnipeg Free Press n’a pas perdu de temps pour condamner les sentiments antisémites exprimés dans le journal communautaire de Victoria Beach. Le rédacteur en chef du Winnipeg Free Press, John W. Dafoe, dénonçait ouvertement l’antisémitisme depuis 1933. Sa réponse à la page éditoriale du Herald a été rapide et décisive, qualifiant l’article de 4 paragraphes de « moralisateur et lâchement antisémite dont Adolf Hitler et tous ses Nazis approuveraient haut et fort ». À la fin du texte, le Free Press demandait aux Manitobains et Manitobaines en termes clairs et nets ce qu’ils pensaient de cette discrimination raciale.
Le 21 août 1943, une semaine après la publication de l’éditorial original, le Victoria Beach Herald a publié l’article intitulé « The Barrier Must Be Maintained » (La barrière doit rester en place) en réplique au Free Press. Comme le titre l’indique, cette réponse a renforcé les sentiments de l’éditorial original en affirmant que « de nombreux résidents iraient encore plus loin que ce que disait le Herald ». De plus, l’article n’a nullement nié ou réfuté l’accusation d’antisémitisme portée par le Free Press. Le fait que l’article original ne mentionnait pas explicitement les Juifs n’était pas une évasion prudente, mais indiquait à quel point l’antisémitisme était commun au Canada à l’époque, comme Levine l’a fait remarquer. L’éditorial original n’avait pas à préciser que les personnes étaient les « indésirables » parce que cela allait de soi.
À cette époque, les sentiments antisémites étaient loin de se limiter à Victoria Beach – ils étaient courants dans la société et sur la scène politique canadiennes. Quatre ans avant la parution de l’article du Victoria Beach Herald, le Canada était l’un des pays qui avaient refusé d’accueillir des Juifs réfugiés qui tentaient de fuir l’Europe nazie sur le MS Saint Louis. Les restrictions racistes et antisémites imposées par le Canada en matière d’immigration ont rendu presque impossible pour les personnes juives d’immigrer au Canada avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Un fonctionnaire de l’immigration a résumé la politique du Canada de l’époque à l’égard des Juifs en disant que d’en accueillir « aucun serait trop1 ».
L’histoire de l’antisémitisme au Canada continue de susciter la discussion et le dialogue au 21e siècle, y compris à Victoria Beach. En 2012, la paroisse St. Michael de Victoria Beach a organisé la projection du film The Paper Nazis, du cinéaste Andrew Wall, de Winnipeg. Le film explore l’histoire de l’antisémitisme au Manitoba et comprend des renseignements sur les pratiques d’exclusion à Victoria Beach. Émus par le film et motivés par le fait qu’il présente cet aspect de l’histoire de la communauté, les membres de la congrégation ont contacté le Jewish Heritage Centre of Western Canada à Winnipeg pour organiser une visite au centre. Après la visite, la paroisse St‐Michael a fait un don à la communauté juive en guise de geste de réconciliation.
Cependant, l’antisémitisme demeure une force de haine dans ce pays. Selon les dernières données de Statistiques Canada sur les crimes haineux déclarés par la police, les crimes contre la population juive ont augmenté de 63 % en 2017, allant de 221 incidents à 360. Au total, 18 % de tous les crimes haineux déclarés par la police sont anti‐juifs.
L’une des mesures les plus importantes à prendre face aux manifestations haineuses d’antisémitisme, de racisme et d’autres formes de discrimination est de ne pas les laisser sans réponse. Il est essentiel de reconnaître et de dénoncer la haine – comme l’a fait l’éditorial du Winnipeg Free Press – pour créer une culture des droits de la personne où il est inacceptable de faire subir à certaines personnes une discrimination simplement en raison de leur identité (ou d’une perception que nous avons de leur identité).
Pour en savoir plus sur l'histoire de l'antisémitisme au Canada, rendez‐vous à l'espace de projection dans la galerie Examiner l'Holocauste, au niveau 4 du Musée.
Questions de réflexion :
Y a‑t‐il des gens autour de nous qui sont maintenant traités comme des « indésirables »?
Que puis‐je faire dans ma vie pour contrer les attitudes d’exclusion?
Comment puis‐je aider à créer des communautés où chaque personne est respectée et valorisée?
Référence
1 Irving Abella et Harold Troper, None Is Too Many : Canada and the Jews of Europe, 1933–1948, Preface
Citation suggérée
Citation suggérée : Jeremy Maron. « L’ombre de l’antisémitisme au Canada ». Musée canadien pour les droits de la personne. Publié le 16 septembre 2019. https://droitsdelapersonne.ca/histoire/lombre-de-lantisemitisme-au-canada
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Renée Paquette
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