Nous avons couru dans sa chambre lui dire que nous l’aimions, quoi qu’il arrive. Nous l’aimions d’abord et avant tout, et nous allions trouver des solutions plus tard.
En tant que mère, cette révélation m’a bouleversée. La peur et la confusion m’ont submergée. J’avais beaucoup à apprendre et, tout aussi important, à désapprendre. J’ai fait toutes les recherches que j’ai pu sur la bonne façon d’aider les jeunes transgenres, en visitant des sites Web réputés, en consultant des études et en parlant à de nombreux membres de la communauté transgenre.
Cela se résumait ainsi : en tant que parents, nous devions affirmer qui elle est, la laisser prendre l’initiative et la protéger de notre mieux de la discrimination.
J’ai vite compris que le peu que je savais sur les personnes transgenres était surtout erroné et imprégné de mes propres sentiments et idées fausses. J’avais grandi avec des idées dépassées et ignorantes sur ce groupe très marginalisé. Malheureusement, la plupart des gens que nous connaissions avaient également grandi ainsi. En quoi cela allait‐il avoir un impact sur ses relations à l’école et dans notre communauté ?
Je me suis rendu compte qu’il y a deux sortes de personnes : celles qui veulent apprendre et celles qui refusent d’apprendre.
Les gens que nous connaissions étaient répartis dans ces deux camps. Alors que la plupart d’entre eux se sont empressés de soutenir ma fille et d’actualiser leurs connaissances, certains étaient convaincus qu’elle était une enfant confuse et même maltraitée qui se laissait entraîner par une idéologie dangereuse.
Les enfants la taquinaient dans la cour d’école et l’insultaient sur les médias sociaux. Des gens qui étaient autrefois mes amis ont cessé de me parler, préférant partager de vilains mèmes sur les « dangers » des personnes transgenres dans les toilettes, et dépeindre mon enfant et tous les membres de sa communauté comme des pervers dérangés. Un membre du personnel de l’école a demandé si Alexis pouvait attendre l’année suivante pour entreprendre sa transition, en commençant dans une nouvelle école, afin d’éviter le risque que des parents en colère appellent le bureau cette année‐là.
Nous avons été profondément secoués par ces attaques contre elle et contre notre éducation parentale. Mais en tant que mère, je n’avais pas le temps de panser mes plaies. Je devais me battre pour elle. J’avais besoin de connaître ses droits comme le dos de ma main pour être l’alliée dont elle avait besoin.
Heureusement, le Code des droits de la personne de l’Ontario, qui prévoit des mesures de protection pour les personnes transgenres et les personnes de diverses identités de genre, a pu faciliter sa transition. Vu que le code comprend des protections de l’identité de genre, nous pouvions l’utiliser pour changer ses pièces d’identité, pour exiger que l’école crée un environnement sûr pour elle et pour insister que les professionnels médicaux lui fournissent le soutien dont elle aurait besoin.
Connaître ses droits nous a permis de mieux faire face à la discrimination dans notre vie personnelle. Nous étions déterminés à ce qu’Alexis grandisse et vive une belle vie, et j’ai mis au défi quiconque voulait essayer de lui barrer la route. Alexis grandissait à une époque où un enfant pouvait devenir trans et, dans bien des cas, être accepté.
Ma conjointe n’a pas eu la chance de grandir dans un temps d’acceptation.
Zoë est une femme transgenre. Pendant les 18 premières années de notre mariage, je l’ai connue comme mon mari, inconsciente du secret qu’elle gardait de peur que cela ne nous détruise. Incapable de continuer à vivre une vie inauthentique, elle nous a révélé son identité, à moi et à nos enfants, 18 mois après Alexis, puis elle a commencé à prendre des mesures pour vivre comme la femme qu’elle a toujours su qu’elle était. Voir l’amour que notre famille et la majorité de la communauté avaient pour Alexis, c’était ce dont Zoé avait besoin pour enfin être elle‐même.
Maintenant que chacun et chacune de nous est fidèle à sa vérité, notre famille est plus forte que jamais. Je ne pourrais être plus fière.
Peu après la révélation de Zoë, le gouvernement du Canada a ajouté « l’identité ou l’expression de genre » dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et dans le Code criminel. L’identité de genre est la façon dont nous nous identifions, tandis que l’expression de genre est la façon dont nous exprimons cette identité. Les deux étaient désormais protégés dans tout le pays, au même titre que la race, la religion, l’âge, la déficience, l’orientation sexuelle et d’autres caractéristiques pour lesquelles les gens ont été historiquement persécutés.
Nous savons ce que ces droits signifient en théorie. Mais que signifient‐ils dans la vie de tous les jours pour des familles comme la mienne ?
En termes simples, ils offrent une protection juridique contre la discrimination.
Les membres transgenres de ma famille peuvent vivre selon leur genre réel et insister pour qu’elles soient traitées avec le même respect qu’on accorde aux autres. Ma femme et moi pouvons vivre ensemble et nous aimer sans crainte d’être emprisonnées ou pire. Nous pouvons élever nos enfants sans avoir peur qu’ils ne soient retirés de notre garde. Cela nous donne la possibilité de profiter d’une vie de famille calme et simple. Nous pouvons travailler et nos enfants peuvent aller à l’école. Bien que beaucoup de gens tiennent ces libertés fondamentales pour acquises, je ne me sens reconnaissante tous les jours de vivre dans un pays dont la législation sur les droits de la personne rend cela possible pour nous.
Ce sont ces droits qui nous unissent d’une manière qui serait très probablement impossible s’ils n’existaient pas. Les lois protégeant les personnes LGBTQ2+ donnent le ton à des conversations sociétales plus larges. Elles fournissent le cadre permettant à ces personnes de vivre ouvertement, ce qui donne aux autres la possibilité de nous voir vivre ainsi et d’apprendre qu’il n’y a rien à craindre ou à ridiculiser ; nous sommes comme tout le monde. Au Canada, nous pouvons vivre ensemble comme une famille heureuse, prospère et en santé.
Cela ne signifie pas que nous sommes exempts de discrimination, loin de là. Ma famille a été victime de harcèlement et de menaces de violence. On nous a traité de tous les noms et on nous a craché des insultes. Les lois fournissent le cadre de l’acceptation, mais les croyances et les attitudes doivent elles aussi évoluer. L’acceptation est en vue, mais nous avons encore du chemin à faire. Comme je l’ai appris, le progrès ne suit pas toujours une ligne droite. Aujourd’hui, nous constatons une intolérance croissante, des protestations lors des défilés de la fierté et un sentiment anti‐LGBTQ2+ dans certaines plateformes politiques.
Heureusement, cela ne nous a pas empêchés de vivre. En 2017, mon épouse et moi avons tenu une cérémonie de renouvellement de nos vœux pour célébrer nos 20 ans de mariage. Dans le jardin d’un ami, entourés de nos enfants et de nos proches, nous avons dit « Je le veux » encore une fois, sachant que notre amour est plus fort que jamais, et que le monde commence lentement à l’accepter.
Nous continuerons à vivre fièrement et ouvertement comme la famille LGBTQ2+ canadienne que nous sommes, en espérant enseigner à ceux et celles qui nous voient qu’il n’y a rien à détester en étant vrai envers soi et vrai en amour.
Amanda Jetté Knox est une écrivaine primée, défenseure des droits de la personne et conférencière. Elle est l’auteure de Love Lives Here : A Story of Thriving in a Transgender Family.